Hangman's Chair - A Loner | Review

 


Un vent glacial souffle dans les rues. C’est un vent venu du Nord, froid et sec. Si il apporte le soleil et un impeccable ciel bleu, il a la mauvaise habitude de dessécher les sols et la végétation. Et tant qu’il souffle, aucun espoir de pluie n’est possible. Aussi, derrière son apparence de bon samaritain du beau temps, se cache en fait un danger pour la nature, dont la persévérance peut s’avérer mortelle. Ce vent du Nord est surnommé la bise dans l’Est de la France, comme un potentiel baiser fatal.

Le baiser fatal, la France semble l’avoir fait lors du premier tour des élections présidentielles. Nous voilà au second tour avec deux candidats dont les seules perspectives à espérer sont l’effondrement de nos conditions de vie, de l’environnement, la répression et le mépris. Plus encore que n’importe quelle élection, les jeunes se sont faits voler leur avenir par des retraités pensant que faire bosser leurs propres gamins quarante-cinq ans sauvera leur petit confort, et par des ruraux bornés dont la vie se réduit à une partie de chasse loin des maghrébins des grandes villes. Tous ces pleutres qui votent à droite parce que la gauche, ce sont de dangereux rouges qui vont tout leur voler, ne comprennent pas que ceux pour qui ils votent les emmènent chaque jour un peu plus vers le fond du trou, inexorablement. Qu’avoir une petite entreprise d’artisanat ou une ferme ne fait pas de vous un patron comme ils s’affichent fièrement au MEDEF, mais juste des laborieux comme les autres qui doivent nourrir leurs familles et payer leurs factures.

Voir ces gamins hurler à la Sorbonne m’a ému. Entendre une jeune fille de vingt ans dire qu’elle ne pourra jamais fonder une famille avec le changement climatique, et qu’elle est condamnée à travailler toute sa vie, sans repos, entre contrats précaires et emplois qualifiés de plus en plus ineptes, le tout au bord des larmes, m’a fichu un coup. J’y ai vu ma fille de seize ans. Et de voir ces encravatés rigides, plein d’arrogance et de mépris, sûrs de leur connerie, phosphorant dans des Think Tanks ou avec des bureaux de conseils privés, incapables de la moindre empathie ni ouverture d’esprit vers les gens, ceux qui font la vie d’un pays, me dégoûtent. Et je sais que ces technocrates, qui hurlent à l’alarme devant le péril fasciste, sauront le jour dit s’adapter tranquillement.

Je tente de fuir depuis en me réfugiant dans les albums de Bob Dylan. J’en connaissais certains, d’autres mal. J’ai décidé de m’y immerger, d’y chercher peut-être une solution intellectuelle. Mais c’est surtout une fuite intérieure. La musique de Dylan m’apaise, ses textes et mélodies me parlent soudainement plus clairement. Elles ont ce côté à la fois sépia, et champêtre, tout en étant de puissants vecteurs émotionnels.


A Loner, une procession vers le Soleil

Pourtant, le devoir m’appela, lorsqu’il fallut revenir au nouvel album des parisiens de Hangman’s Chair : « A Loner ». Je l’avais écouté à plusieurs reprises, et comme tous les albums du groupe, il me bouleversa. Il n’est pas évident d’écouter Hangman’s Chair. C’est une musique d’une telle intensité émotionnelle, qu’il ne faut pas être trop fragile psychologiquement. Je l’avais laissé de côté, car il me parut trop fort pour mon âme dans ce contexte cauchemardesque. Même le titre du disque réveilla en moi de vieux souvenirs que je pensais enfouis au plus profond de ma carcasse : « A Loner ». Mais ne pas chroniquer cet album pour des états d’âme personnels est un crime. Car il est excellent.

On pourrait remettre en contexte techniquement ce disque en allégeant le propos, mais ce qu’a vécu Hangman’s Chair ne fut guère réjouissant. En 2018, le quatuor sort « Banlieue Triste » sur son label habituel et local : Music Fear Satan. L’album est très bon, fantastique panorama doom-gothic des banlieues françaises que le groupe connaît bien. Oh ! Ce n’est pas la BANLIEUE, avec les barres d’immeubles, les bagarres de dealers… Les Hangman’s Chair sont de Crosne, dans l’Essonne, un mélange putréfiant de zones commerciales, de réseaux routiers, de lotissements sans âme, et d’activités artisanales et agricoles en déclin. Lorsque l’on tape Crosne sur un moteur de recherche on tombe par ailleurs sur une photo avec un vieille arbre penchant vers une rivière couverte de vase et de lentilles d’eau. Ainsi est Crosne, et cela ressemble fort à la musique de Hangman’s Chair. Car c’est une musique sépulcrale, terriblement sombre, mais jamais dénuée de quelques lueurs d’espoir, aussi furtives furent-elles.

La signature avec Spinefarm est une vraie chance, du moins en apparence. Les bureaux sont toutefois aux USA, et le public de Hangman’s Chair est en France et en Europe. La logique bureaucratique de Spinefarm va conduire un EP à sortir partout sauf en France. La tension de l’échec est à son comble. Et puis finalement, Nuclear Blast, label d’origine allemande, et majeur sur la scène Metal européenne, va récupérer le contrat. Hangman’s Chair sera sauvé des eaux, avec toutefois un bémol : Nuclear Blast en est en pleine restructuration numérique, avec davantage de musique dématérialisée, et moins de supports physiques. Mais l’air du temps en est ainsi, et les quadragénaires que sont Cédric Toufouti à la guitare et au chant, Mehdi Thepegnier à la batterie, Julien Chanut à la guitare, et Clément Hanvic à la basse, doivent se résigner à ce nouveau monde où rien n’a de sens.

Ces atermoiements et la crise du COVID auront repoussé pour de longs mois la sortie de ce disque, qui voit donc finalement le jour en ce début d’année 2022. Il a la saveur d’un immense cri : celui de la libération comme de la rage, celle de l’impuissance. Etre dépossédé de sa capacité à agir et devoir subir, sans autre choix, est sans doute le sentiment le plus cruel de l’être vivant. Il le conduit à la folie, inexorablement.


Que faut-il en retenir ?

« A Loner » n’est que cela : un album fait de colère à ne pouvoir s’échapper à sa destinée inexorable, et qui se conclut par un besoin de fuite viscéral. Le premier titre symbolise à lui seul le sentiment général : ‘An Ode To Breakdown’. Soit une ode à la panne, à la rupture, à l’arrêt de ce mode de vie fou et sans intérêt. Le son reste massif, mais quelque chose de plus atmosphérique s’est glissé dans la musique. Les riffs ne sont plus brutalement doom. C’est la structure de la musique qui reste violente. Le son des guitares est plus new wave, post-punk, à la Joy Division/Wire. Cela n’enlève rien à l’agressivité de l’ensemble, mais se prête mieux à l’accompagnement de la voix ample de Cédric Toufouti. Et cela est encore plus évident sur ‘Cold & Distant’.

‘Who Wants To Die Old’ pose une question majeure de notre monde actuel : voulons-nous vivre vieux, ou vivre maintenant, avant qu’il ne soit trop tard ? Alors que nos anciens sont traités comme des animaux de batterie pour des prix écoeurants, et que la crise climatique à son paroxysme se dessine de plus en plus avec certitude faute de décisions politiques courageuses, ne faut-il pas mieux profiter de ces quelques instants de vie agréable alors que nos jours sont comptés ?

‘Storm Resounds’ est une pièce de doom atmosphérique à la mélancolie poignante. Si cette dernière est omniprésente sur ce disque, elle brille d’un éclat blanc argenté tout au long de ces cinq minutes d’introspection totale. ‘Supreme’ démarre sur cette même base avant de progressivement monter aux cieux. La rythmique de Thepegnier et Hanvic contribue largement à cette ascension émotionnelle.

‘Pariah And The Plague’ est un intermède quasi-électro, en mode cold wave du début des années 1980, inspiré des premiers albums de Cure. ‘Loner’ est une cavalcade sombre dont Hangman’s Chair s’est fait une spécialité. L’homme seul et abandonné est un thème que le groupe maîtrise à merveille, et renouvelle sans cesse. ‘Loner’ a la couleur d’une promenade solitaire, le cerveau embrumé de douleurs et de soucis, dans une ville de banlieue parisienne sous un ciel nuageux et menaçant. La résignation se poursuit sur le tout aussi percutant ‘Second Wind’, comme la recherche d’un second souffle.

Le disque se termine par l’épopée de plus de neuf minutes ‘A Thousand Miles Away’. Il s’agit d’une vraie tornade doom au sens propre du terme, avec de fantastiques climats gothiques. C’est le morceau de la rédemption, celui de la lutte finale face aux affres de la vie. C’est le combat ultime, dans lequel on jette ses dernières forces. Il n’y aura que deux issues : la vie ou la mort. Les guitares de Toufouti et Chanut se mêlent avec grâce, offrant plusieurs tableaux de riffs majestueux et dantesques.

Le morceau et le disque se terminent par une lente procession vers le soleil, à la fois chargée de tristesse mais aussi d’espoir malgré la douleur du voyage. C’est sans doute ce que nous espérons tous désormais : quelque soit la difficulté, nous voulons revoir la lumière du bonheur. En cela, « A Loner » est un voyage initiatique, une puissante introspection qu’il est parfois douloureux d’écouter dans le contexte actuel, tant cette musique n’a semblé sonner aussi juste. Mais c’est un beau voyage, profond et dense, et une nouvelle étape réussie dans la carrière de Hangman’s Chair.

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