Predatür - Weidenhaus | Review

 


Amateurs de pédales fuzz et de gros riffs malsains, autant vous le dire tout de suite, vous allez être déstabilisés. Si le stoner-rock est un genre basé sur les solides fondations posées par Black Sabbath, Pentagram et Kyuss, on oublie souvent « l'esprit ». Considéré comme un genre « vintage », faisant dans le recyclage musical et non dans l'innovation par la presse musicale généraliste, c'est d'abord se montrer sourd à la vraie fraîcheur et à la vitalité du genre. C'est aussi oublié que le stoner-rock est l'héritier direct et moderne du rock des années 70, le seul capable de perpétuer l'esprit de liberté artistique de cette époque. Et quand bien même la filiation ne se ferait pas par les riffs de Black Sabbath, mais par ceux d'une illustre formation 70's, l'esprit est là. Ce préambule posé, il est temps d'aborder le disque qui nous intéresse ici.

Predatür est un vétéran. Les origines du groupe remontent à 1976. Baz Barry est un jeune lycéen de Reading dans le Berkshire, qui décide avec des copains de monter un groupe. La liste est longue de ceux qui se succéderont dans le groupe, mais quelques camarades resteront fidèles à l'aventure plusieurs années, comme le guitariste John Benham de 1976 à 1984, et son successeur Mick Hughes de 1984 à 2010. La scène rock anglaise est alors largement dominée en terme de succès commercial non pas par David Bowie ou Elton John, mais par Status Quo. Le quartet écume l'Europe depuis le début des années 70, et connaît des ventes de disques colossales couplées à des salles archi-pleines.


La formule est des plus simples : quatre types en jeans-baskets balançant des morceaux irrésistibles basés sur le boogie, un blues-rock frénétique, joué pied au plancher. Le groupe a immédiatement fait mouche auprès du large public ouvrier que compte la Grande-Bretagne (Birmingham, Newcastle, Glasgow, Manchester, Liverpool, Cardiff), mais aussi la France (Le Havre, Rouen, Lille, Lyon). Le succès n'arrivera par contre jamais aux Etats-Unis : trop prolétaires, trop puissants, leur musique n'est pas du goût de la Californie et de New York, les deux états branchés où se font les réputations.


Predatür a décidé de perpétuer la musique de Status Quo qu'ils aiment tant, mais en lui insufflant encore de l'énergie supplémentaire. Et cela marche : les concerts régionaux font le plein grâce à la débauche d'énergie du quatuor, et notamment de leur leader Baz Barry, aux faux-airs de Francis Rossi, le guitariste-chanteur de Status Quo, en plus jeune et destroy.

Sans aucun plan de carrière, Predatür joue partout où l'on veut d'eux, parallèlement aux jobs alimentaires. Nous voilà bientôt au début des années 80. Fondé en même temps que le mouvement Punk, Predatür n'a ni la bonne musique ni le bon look pour décrocher un contrat de disque, ou jouer dans les salles qui comptent à Londres. Ils sillonnent donc les villes industrielles du Nord de l'Angleterre et la banlieue londonienne, sans pour autant pouvoir s'approcher de trop près de l'épicentre de la culture musicale anglaise. Predatür sera comme d'innombrables jeunes formations de heavy-rock, à jouer dans l'indifférence médiatique générale : Iron Maiden, Samson, Diamond Head, Tygers Of Pan-Tang, Raven, Saxon, Sledghammer.

La roue tourne lorsque le punk cherche un second souffle. D'un côté, les puristes créeront le punk hardcore (GBH, The Exploited, Discharge), les autres évolueront vers la New Wave synthétique (Wire, Cure, Joy Division, Stranglers) ou un rock plus maîtrisé et polymorphe (Clash, Damned). Les gamins en mal de décibels cherchent alors de nouveaux héros. Les petits pantalons cintrés de la New Wave sont bons pour les branchés de Londres, et le hardcore nihiliste n'est qu'une niche sans héros. Dès 1979, les nouvelles formations heavy-metal sortent du bois, et deviennent emblématiques, trustant pour certaines la tête des ventes : Iron Maiden, Saxon, Def Leppard, Tygers Of Pan-Tang.

Au début des années 80, ce qui a été qualifié par le magazine Sounds en décembre 1978 comme la « New Face Of Heavy-Metal », devenue la New Wave Of British Heavy-Metal (NWOBHM) au fil du temps, prend le contrôle de la scène rock anglaise. Elle est vaste, cette vague, car elle comprend d'anciens briscards de la fin des années 70 (Judas Priest, Budgie, Motorhead, Thin Lizzy), des formations heavy-metal traditionnelles (Saxon, Iron Maiden, Samson), des choses plus mélodiques (Def Leppard, Diamond Head, Praying Mantis, Wildfire), et quelques pionniers brutaux (Venom, Warfare, Atomkraft).

Predatür fait partie de cette multitude de seconds couteaux sans label, qui finiront par enregistrer un simple en 1982. Grâce au label artisanal local Quicksilver, Predatür publie après six ans d'existence le disque 'Take A Walk/Seen You Here'. La chose est devenue depuis un fantasme de fan de NWOBHM, grâce à son énergie, et surtout, son incroyable précision musicale. La pochette est un dessin cartoonesque qui n'aidera aucunement à vendre le disque, qui s'écoulera pourtant rapidement autour des 2000-2500 exemplaires grâce à la gloire acquise. Ils sont alors qualifiés de fusion Status Quo/Motorhead, comme en atteste le tréma sur le u de Predatür, symbole métallique par excellence.


Nouvelle vague et puis l'oubli

2004. L'arrivée du cd, d'internet et du pressage facile de disque permettent à Predatür de sortir enfin ce foutu album que les amateurs attendent tant. L'exercice est délicat, car de nombreuses formations de la NWOBHM tentent de rebondir grâce aux reprises de Metallica d'une part, et de la compilation concoctée par Lars Ulrich en 1990 pour les vingt ans du phénomène.

Predatür n'ayant jamais arrêté, il n'est pas compliqué de mettre la machine en route et de lui permettre de déverser son boogie en studio. Elle va le faire en 2005 avec le superbe album « Mean », un diable de disque chroniqué par votre serviteur à ses débuts dans la presse musicale en son temps. L'esprit de Status Quo circa 70's était ressuscité, avec cette énergie folle, une maîtrise musicale plus grande, mais toujours cette voix de gamin identique au Francis Rossi du début des années 70.

Predatür trouva un débouché merveilleux : les conventions de fans de Status Quo, notamment en France. Le succès fut énorme, bien qu'un peu dégradant. Car Predatür n'était absolument pas un sosie de Status Quo des années 70, mais sa continuité géniale. L'album parlait pour eux, et j'en fus un peu dérangé pour eux. Le disque suivant, « In Your Garden » en 2007, se montra moins pertinent, notamment parce que les morceaux n'étaient pas ces vieilles scies scéniques usées depuis 1976 ('Seen You Here' date par exemple de cette époque).

Et puis il y eut un long silence. J'en fus triste, mais j'en compris la teneur. Après tout, pourquoi continuer lorsque le sort s'acharne ? L'industrie de la musique n'était plus aussi conciliante avec les petits groupes, ces cravacheurs de bitume. Que Predatür décide d'arrêter les frais après des dizaines de concerts depuis quarante ans et quelques disques, voilà une belle conclusion.

Alors comment suis-je tombé sur ce nouvel enregistrement ? Je n'en sais trop rien. J'ai dû chercher quelques nouvelles de ces vieilles canailles. La surprise fut grande lorsque je découvris sa sonorité.

1969. La musique anglaise est en pleine révolution Blues. Les Rolling Stones, John Mayall, les Pretty Things et les Yardbirds furent les pionniers, mais la fin des années soixante est le vrai retour aux racines du genre, contrecarrant les délires psychédéliques. Savoy Brown, Chicken Shack, Fleetwood Mac, Jeff Beck Group, Led Zeppelin…

Status Quo est un groupe de laborieux qui cherchent la gloire depuis le milieu des années 60, jouant dans les clubs de vacances des hits des Beatles et des Rolling Stones. Il la trouve avec quelques hits psychédéliques sympathiques : 'Pictures of Matchstick Men' puis 'Ice In The Sun'. Le succès s'épuise pourtant rapidement, et les deux premiers albums de Status Quo seront des fours commerciaux. Peinant de plus en plus à trouver des concerts, une première partie du groupe Chicken Shack va être la révélation en 1969. Ce Blues trépidant joué à fort volume va leur donner des idées.

Status Quo laisse tomber le lisseur à cheveux, les pantalons en satin et les chemises à jabots pour les jeans, les baskets, des tee-shirts et des barbes de trois jours. La musique évolue vers un blues-rock entêtant encore teinté de psychédélisme sur certaines mélodies. On peut déjà parler de boogie, mais il n'est pas encore ravageur en terme de puissance. Il est subtil, s'immisce dans chacun de vos membres. Déjà, il fait taper du pied, c'est indéniable. Deux albums en forme de secret d'initiés sont le symbole de cette période d'évolution musicale : « Ma Kelly's Greasy Spoon » en 1970 et « Dog Of Two Head » en 1971. Ils offrent quelques pépites fascinantes : 'Spinning Wheel Blues', 'Railroad', 'Umleitung'…Status Quo ratisse la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Scandinavie, jouant partout où il le peut. Les concerts offrent notamment deux longues versions de quinze à vingt minutes du 'Roadhouse Blues' des Doors et de la suite 'Is It Really Me ?/ Gotta Go Home' de « Ma Kelly's Greasy Spoon ».


Pye Records ne se montre pourtant pas très motivé pour soutenir Status Quo, dont les ventes sont depuis longtemps insignifiantes. Ce manque d'intérêt est d'autant plus regrettable que si les albums n'ont pas encore trouvé leur public, le simple 'Down On The Dustpipe' se classe 12ème des ventes en Grande-Bretagne en mars 1970, et 'In My Chair' atteint la 21ème place en octobre 1970.


Fort d'un public fidèle et maintenant nombreux, Status Quo consolide un beau contrat avec Vertigo/Phonogram. L'album suivant sera « Pile Driver », magnifique obus de boogie furieux, numéro 5 des meilleurs ventes en Grande-Bretagne, et Top 20 en Europe et en Australie. C'est le début de la chevauchée glorieuse des forçats du boogie, qui amènera le jeune Baz Barry à fonder son propre groupe de boogie high energy.


Que faut-il en retenir ?


Cela nous amène de ce fait à « Weidenhaus », car ce disque est un hommage subtil à cette période méconnue de Status Quo, plus blues, et moins frontalement agressive. Predatür a aussi ouvert ses influences au blues anglais, avec quelques incursions dans les sonorités du Fleetwood Mac originel avec Peter Green comme leader. Cela est notamment évident sur l'instrumental '2.38' qui mêle habilement 'Albatross' et 'Man Of The World' de Fleetwood Mac. Mais après tout, Status Quo avait bien repris 'Lazy Poker Blues' sur « Ma Kelly's Greasy Spoon ». Tout est finalement parfaitement cohérent.

Evidemment, le boogie est là, fin, un peu acide, entêtant, sur 'She Said, She Said', 'Lovely Day', 'In The Morning Part 2'. Baz Barry, malgré les années qui passent, a toujours la voix du Francis Rossi du début des années 70, merveilleuse capsule temporelle, avec toutefois son intonation de prolo de Reading. Il est désormais entouré de trois jeunes musiciens particulièrement talentueux : Charles Grear à la guitare, Steve Jones à la basse, Jack Capon à la batterie. Baz Barry apparaît sur la pochette avec une grande barbe poivre et sel et un épais chandail, le faisant ressembler à Moondog, toujours doté de sa précieuse Fender Telecaster.

Ce disque est chaleureux, délicat, à la fois rustique et envoûtant, comme l'étaient ces deux premiers albums boogie de Status Quo. Un soin maniaque a été porté pour garder la force du live en studio, la spontanéité entre quatre musiciens. Force est de constater que le pétulant vétéran Baz Barry fusionne à merveille avec ses jeunes musiciens. Predatür nouvelle formule est une formation solide, pétri de blues électrique anglais. « Weidenhaus » est autant une surprise qu'une réussite. Laissant de côté le boogie maniaque pour une formule plus subtile, aux références qui le sont toutes autant. Predatür, le glorieux guerrier heavy, s'est réinventé magnifiquement. Il sera incontestablement, toi le jeune, une superbe porte d'entrée vers le blues blanc. Et j'espère que Predatür ne mettra pas dix ans à nous offrir un nouvel album, que « Weidenhaus » est le premier pas d'une nouvelle ère créative que je souhaite prolifique.


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