Le visionnage du dernier concert de Black Sabbath, le fameux festival Back To The Beginning, m’avait laissé un goût amer. La mort d’Ozzy Osbourne a rajouté une couche supplémentaire d’émotion sur ce qui était avant tout les adieux du chanteur à son public. Il était tout simplement devenu impossible d’exprimer une opinion dissonante à cet évènement, désormais légendaire parce qu’Ozzy Osbourne aura jeté ses ultimes forces dans sa dernière prestation, et qu’elle fut bonne ou non, le sujet n’était pas là. Cependant, on est en droit de se demander si l’histoire et la musique de Black Sabbath, désormais plus grande que chacun de ses musiciens fondateurs, pouvaient s’achever sur un concert raccourci et pénible.
Mais encore. Ozzy Osbourne était très malade, et selon Tony Iommi, il n’y a eu que peu de répétitions, le chanteur fatiguant au bout de deux ou trois titres. Par contre, pour le reste de l’affiche, on a eu droit à une série de sets de groupes constitués de musiciens sexagénaires et septuagénaires souvent poussifs, si l’on excepte Gojira (surtout là grâce à leur prestation à la cérémonie des JO), Mastodon, et Slayer, mais qui a à peine pris la peine de reprendre un bout de « Wicked World ». Back To The Beginning présentait une affiche de rêve, mais si on était en 1992. Car en 2025, tout cela ressemblait plutôt aux obsèques du heavy-metal des années 1970-1980-1990.
Et si Black Sabbath et Ozzy Osbourne ont influencé à peu près tout le monde dans le genre, on ne peut pas dire que tous étaient de dignes héritiers du Sab, musicalement parlant. Si tous doivent quelque chose à un moment de leur histoire à Black Sabbath et Ozzy Osbourne (Metallica en première partie d’Ozzy en 1986, Pantera et Slayer au Ozzfest…), tout le monde sait dans ces pages que les héritiers de Black Sabbath sont surtout à chercher du côté de Cathedral, Electric Wizard et Candlemass.
Il aurait été intelligent d’insérer de jeunes groupes montants de la scène doom-stoner-psychédélique qui doivent beaucoup à Black Sabbath comme Slift, Elder… ce qui aurait amené une lueur d’espoir dans ce spectacle, avec une sorte de passage de flamme à de jeunes musiciens qui allaient poursuivre l’oeuvre de Black Sabbath. Bien sûr, il y a eu le Yungblud, qui a offert une belle prestation de « Changes » avec Nuno Bettencourt, mais il était surtout là comme jeune prodige montant du pop-rock anglais, pas comme un héritier de Black Sabbath.
Sharon Osbourne a surtout voulu que ce concert soit centré non seulement sur son mari, mais sur sa carrière solo qui a influencé tout le heavy-metal des années 1990. Car le choix des artistes a été fait dans ce sens : ils doivent avant tout beaucoup à Ozzy Osbourne plutôt qu’à Black Sabbath, même si le groupe sera mis en groupe final. Une fois encore, Tony Iommi, Geezer Butler et Bill Ward étaient relégués au statut de groupe accompagnateur de luxe d’Ozzy, alors qu’historiquement, c’est totalement faux. Tony Iommi en est le leader incontestable, et la grande majorité des morceaux sont à l’origine de la plume de Iommi et de Geezer Butler pour les textes. Le groupe signait à quatre noms pour se répartir les droits afin de conserver son unité. Mais lorsqu’Ozzy sera viré en 1979, le groupe restera Black Sabbath avec Ronnie James Dio, que les fans indécrottables d’Ozzy le veuillent ou non.
Ce côté héritage m’a beaucoup turlupiné. J’ai toujours beaucoup admiré Tony Iommi et Geezer Butler. Leurs jeux, leurs compositions, leurs attitudes sur scène étaient le sang de Black Sabbath. Et c’est dans cela qu’il faut chercher la descendance de Black Sabbath. Je me suis alors remémoré un album passé inaperçu à sa sortie, mais que j’ai vu ressortir par moments sur les réseaux comme pouvant constituer un digne héritier de Black Sabbath. Il s’agit du premier album homonyme de Sumerlands qui date de 2016.
Ce groupe américain a été fondé par les guitaristes Arthur Rizk et John Powers en 2013, tous deux membres du groupe Eternal Champion, l’un des fleurons de la New Wave Of Traditional Heavy-Metal (NWOTHM) dont l’histoire remonte à 2008 mais piétine. Justin DeTore en est le batteur, Phil Swanson le chanteur. Le bassiste Brad Raub est intégré à Sumerlands, il deviendra aussi membre officiel d’Eternal Champion, mais il n’apparaît pas officiellement en tant que membre sur ce premier album. Il est seulement cité dans les crédits.
Sumerlands sort le 16 septembre 2016 chez Relapse, quasiment en même temps que le premier album d’Eternal Champion, The Armor Or Ire, publié le 27 septembre sur No Remorse. C’est Eternal Champion qui prendra le dessus, faisant de Sumerlands un side-project quand les musiciens ont le temps.
C’est bien dommage, car ce premier album de Sumerlands est extraordinaire. Il est l’héritier parfait de Black Sabbath, croisant autant la noirceur de la période Ozzy Osbourne, que le côté power-metal de celle avec Ronnie James Dio au micro. En fait Swanson chante un peu comme un Ozzy Osbourne qui aurait enregistré Heaven And Hell.
Sumerlands est un disque plutôt court, constitué de huit morceaux et de seulement trente-deux minutes de musique. Mais tout défile avec un aplomb et un génie permanent. La durée des titres restent autour de quatre minutes, mais elles sont richement exploitées. Il ne faut pas s’attendre à des titres lents, pesants et noirs, doom-metal au sens où on l’attend. Il s’agit de tempos plutôt enlevés, power et heavy. Mais les riffs de guitares sont sombres et lourds, et le chant de Phil Swanson, posé sur les séquences construites en architectures d’accords barrés massifs, est évidemment un écho à Ozzy Osbourne et à la construction de Black Sabbath sur ses six premiers albums.
Il y a évidemment un talent réel inhérent au groupe. Inspiré, virevoltant à chaque seconde, Sumerlands est une formation dotée d’un talent totalement écoeurant. Tout est là : le brio instrumental, la précision d’exécution, la rythmique sans faille, l’âme unique de sa musique, la production impeccable et vivante.
« The Seventh Seal » entame le disque de la plus belle des manières, avec un riff d’ouverture inspiré de Van Halen, mais repassé à la sauce Black Sabbath. Sumerlands sait créer un souffle épique, qui démarre dès ce premier morceau, et qui ne va pas retomber avant le morceau atmosphérique « Sumerlands » qui clôt le disque. « The Guardian » est une merveille mêlant Ozzy Osbourne de Blizzard Of Ozz et le Black Sabbath de Sabotage. C’est un peu le cas de tout le disque, magnifique, épique, poignant, d’une solidité absolue, à l’image de sa pochette.
Eternal Champion étant devenu la priorité, Sumerlands va attendre 2022 pour produire un second album : Dreamkiller. Brendan Radigan a remplacé Phil Swanson, et le son évolue beaucoup, plutôt du côté de Eternal Champion, avec un heavy-metal épique plus inspiré par Iron Maiden et Judas Priest que par Black Sabbath et Ozzy Osbourne.> Sumerlands de 2016 restera donc un chef d’oeuvre sans successeur, véritable leçon de heavy-metal sabbathien réussi et novateur.
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