DOMKRAFT - Sonic Moons

 


Les plus jeunes d’entre vous n’ont pas connu une époque où la musique rock qui venait du Nord de l’Europe était gaussée de manière écoeurante. Je vous parle là des années 1990. A cette époque encore, le rock et la pop culture était avant tout anglo-saxonne. Tout le reste n’était que copies pâlichonnes. Et même pire : lorsque vous aviez du succès en Allemagne, en Suède, ou en Finlande, il fallait sérieusement s’inquiéter sur l’état de santé de votre groupe. Car ces pays lointains étaient souvent le terrain de jeu restant à d’anciennes gloires du rock comme Deep Purple, Black Sabbath ou Motörhead, dont les ventes étaient bien loin de leur splendeur, et alors que les scènes américaines et anglaises étaient largement dominées par le grunge, puis le néo-metal. Aujourd’hui, cette fameuse Scandinavie est l’un des terreaux les plus fertiles du rock mondial : Mythic Sunship, Kanaan, et le client qui nous occupe ici, Domkraft.


Sonic Moons, un retour des plus attendus

Domkraft a fait ses premières armes dans ces pages grâce à son second album : le dantesque Flood en 2018. Puis le COVID nous est tombé dessus, et l’on pensa que tous ces petits groupes de doom et de stoner psychédélique allait manger le champignon par la racine. Domkraft se releva avec le très bon Seeds en 2021, et un split-album magnifique avec les Irlandais de Slomatics : Ascend/Descend en 2022. Sur ce dernier, Domkraft offrit trois titres prodigieux, mêlant doom-metal halluciné et psychédélie obscure avec un talent époustouflant, le pinacle étant le turbulent et entêtant « And Yet It Moves ».

Quelque chose de spécial a toujours vécu dans les tripes de ce trio de Stockholm, et ce depuis ses débuts. Il est le seul à restituer en musique une notion métaphysique terrible : nous ne sommes que des poussières dans l’univers, et notre disparition n’engendrera rien à l’échelle de l’infini. Posé ainsi, la musique de Domkraft explore à sa manière l’espace et pratique ce que l’on peut qualifier de space-rock dans la lignée des apocalyptiques maîtres du genre nommés Hawkwind.


Que faut-il en retenir ?

Le groupe revient en 2023 avec Sonic Moons, un nouvel album tout frais. Ce quatrième album allait-il sonner comme pour The Serpent Ride de Witchskull l’album du coup de mou ? Lorsque retentit les premiers accords de « Whispers », on ne peut pas dire que le trio suédois ait décidé de baisser le régime. Martin Wegeland tient toujours fermement la basse et le chant, Martin Widholm la guitare, et Anders Dahlgren la batterie. Le riff de départ est bon, puis la ligne de chant semble un peu terne. On a une impression de déception après les sommets précédents. Puis le titre s’installe, le riff gronde, le chant se fait plus tendu, et commence le grand décollage psychédélique avec un solo magnifique de Widholm. Non, tout va bien, Domkraft est en grande forme et propose une musique de premier niveau sur cette longue odyssée de plus de neuf minutes.

« Stellar Winds » enclenche un déluge de feu mémorable, avec un riff redoutable et une rythmique brutale. Le chorus de guitare est encore bien senti, mais il faut avouer que le titre manque d’un je-ne-sais-quoi d’âme. « Magnetism » vient judicieusement corriger cela avec un riff acide fascinant. Le chant se fait plus furieux et inspiré, et Domkraft trouve sa vitesse de croisière habituelle. Les riffs crépitent, les cymbales volent, la voix hurle dans l’immensité. Widholm est décidément un personnage qui compte à la guitare, avec ses chorus inspirés en forme de décollage galactique.

« Slowburner » suit avec un riff impressionnant et une section rythmique redoutable de groove. La tension est maintenue à son maximum grâce au petit thème heavy-thrash de Widholm. Wegeland se montre très expressif au chant. Ce morceau est une vraie réussite de bout en bout, à la fois caractéristique du groupe et modernisé avec des apports heavy-metal inédits. Il est le premier d’une série de trois titres assez courts pour le groupe, mais d’une férocité nouvelle.

Le second se nomme « Downpour » . Décidément, la pluie semble une obsession du côté de la Scandinavie après l’album Downpour des Norvégiens de Kanaan. Blague à part, on sent aussi une éco-anxiété monter dans les rangs de ces musiciens entre la vingtaine et la quarantaine, mais semble-t-il de plus en plus concernés par l’évolution néfaste du climat liée à la pollution mondialisée. Dans ces contrées froides et largement sauvages, proches du Cercle Polaire, les effets doivent être redoutables, si l’on en juge par l’état de la Sibérie. « Downpour » est une avalanche de rage sonore magnifiquement mélancolique. Une fois encore, Martin Wegeland chante magnifiquement bien, et Martin Widholm développe un thème obsédant entre heavy-thrash et sonorités new-wave psychédélique.

« Black Moon Rising » crépite de fureur dès le premier accord. Tornade de doom-metal en fusion, c’est un véritable obus sonore sur lequel Wegeland hurle de rage. Anders Dahlgren imprime un tempo implacable, et le héros Widholm ramone ses cordes de tout son coeur. Il s’agit de doom-metal magique et contagieux, et lorsque babille la wah-wah sur le solo, on sait que l’on est en sécurité.

Le disque s’achève sur l’autre grande pièce de l’album : « The Big Chill » et ses presque dix minutes. Le riff d’entrée prend d’assaut l’auditeur avec son riff grésillant et puissant. La rythmique se cale sur un tempo solide, mid-tempo rapide, et ne lâche rien durant tout le morceau. Martin Widholm à la guitare et Martin Wegeland doivent assurer le torrent de feu électrique porté par le batteur. Anders Dahlgren fracasse ses caisses comme un forcené, totalement emporté par le rythme furieux porté par ses camarades. Le titre se termine en une coda crépusculaire entre arpèges lunaires et tonnerre de riffs cosmiques.

Sonic Moons est au final est un nouveau grand disque de Domkraft, à peine éclaboussé par la faiblesse relative de « Stellar Winds ». Le reste est au diapason de ce groupe incroyable : dantesque. Sonic Moons est à la fois la confirmation d’un style unique, et la bascule très intéressante vers une sonorité heavy-thrash mêlée de psychédélie prometteuse.


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