Spectral Haze - Turning Electric | Review




On l'attend parfois, le voyage cosmique. On aimerait foutre le camp de cette planète, se confronter à la poussière des étoiles, dériver dans l'hyper-espace, voir l'infini plutôt que la médiocrité de ce bas-monde. Les pays du Nord de l'Europe semblent être le terrain propice à une certaine forme de dérapage psychologique qui conduit à des musiques certes pointues, mais souvent passionnantes : Black-Metal, Stoner-Metal, Drone, Psyché-Folk…. L'alternance angoissante de grands espaces de lumière et d'obscurité, mêlée aux paysages de montagne et de grandes forêts de résineux portent au pinacle des cerveaux partagés entre le monde des anciens Vikings, et celui de la société de consommation occidentale qui nous ronge tous. La Norvège est une pépinière d'êtres troubles qui refusent obstinément de plier à la musique poubelle du moment.

Turning Electric, la consécration d'une formule



La belle pochette de cet album attire irrémédiablement mon œil, et me pousse à plonger mes conduits auditifs dans la musique Stoner-Psych de Spectral Haze. « Turning Electric » est leur troisième album, auquel s'ajoute un split-LP avec Tusmørke en 2015. Capté sur la longueur, entre décembre 2015 et juin 2016, il s'agit sans aucun doute de leur disque le plus abouti. Présenter les effectifs de Spectral Haze relève de la pochade, car les musiciens se cachent derrière des pseudonymes farfelus : Spacewulff au chant et à la guitare, Sonik Sloth à la guitare, Doomdogg à la basse, Celestial Cobra à la batterie et Electric Starling aux synthétiseurs. Originaires d'Oslo, formation fondée en 2011, les musiciens de cette fine équipe partagent également leur temps dans divers projets allant du Black au Drone.

Spectral Haze est ce que l'on peut appeler un digne héritier du Hawkwind des années Lemmy Kilmister, de 1972 à 1975. Voix charnue, basse grondante, guitares saturées et cosmiques, batterie frénétique, et synthétiseurs hypnotiques, Spectral Haze est avant tout une expérience sonore qui ne se décompose pas réellement en morceaux. Certes, on retrouve six pistes, entre quatre et plus de huit minutes d'hallucinations électriques. Mais écouter « Turning Electric », c'est avant tout plonger dans un univers. On blâme souvent le Stoner d'être une musique revival, une mauvaise resucée d'un Rock seventies antique et inique, totalement dépassé par le modernisme éclatant de l'Electro et de la Pop urbaine. C'est oublier que Led Zeppelin et Black Sabbath se construisirent en piochant dans le Blues et le Folk anglais. Et qu'ils transfigurèrent cette matière pour en faire quelque chose de nouveau, de personnel et de moderne.

Spectral Haze, comme les américains d'Ecstatic Vision, s'imprègne avec délice d'Hawkwind, mais aussi des Pink Fairies pour offrir une matière novatrice. « Turning Electric » est palpitant de la première à la dernière note, car aucun espace n'est perdu. Il n'y a pas une seconde inutile, ce qui fait de ce disque une odyssée sonore totalement enthousiasmante. Les potences électriques tiennent l'auditeur dans le Hard'N'Heavy psychédélique, soutenues par une basse et des caisses fermement ancrées dans le sol. Les synthétiseurs papillonnent autour des riffs et des arpèges tendus. La voix de Spacewulff est superbe, bien plus riche que celle de Dave Brock. A la fois dotée d'un grain rauque, elle monte avec maestria dans les aigus avec facilité. Les chorus de guitare sont des dérapages de la mélodie, s'enfonçant dans le cosmos à grands coups de pédales wah-wah et de réverb liquide.

Que faut-il en retenir ?



Débuté par le très percutant 'Dawn Of The Falcon' et son riff obsessionnel, il s'enchaîne par le boogie cosmique 'Turning Electric'. La pièce de résistance se présente avec 'Cathexis/Mask Of The Transformation', près de neuf minutes de Prog-Punk spatial. 'Ajagandhi' enfonce à coups de marteau sur l'enclume un épais Heavy-Rock-Blues déchiré à grands coups de riffs maniaques. 'They Live' débute par ailleurs par un superbe riff tendu d'électricité moribonde, qui s'enfonce dans la psychédélie maladive. On renifle par moments l'odeur de 'Interstellar Overdrive' de Pink Floyd, en 1967, mais avec cette férocité toute propre au Rock de Ladbroke Grove. Les guitares s'entrecroisent magnifiquement, les synthés cosmiques propulsent l'ensemble vers le firmament étoilé.

L'album se clôt sur le doomesque 'Master Sorcerer', arrachant ce qu'il reste de piste de décollage. Spectral Haze vient, avec ce disque, de définir sa formule musicale définitive. Passionnant de bout en bout, il plonge l'auditeur dans un autre monde, et c'est parfaitement ce que l'on attend d'un bon disque de Rock. Comme l'on aimait écouter Pink Floyd ou Led Zeppelin au casque, on se régalera à écouter « Turning Electric », avec le sourire assuré de ceux qui savent.