THE BRADLEY'S - Forward

 

Vendredi soir dernier était un début de week-end comme tant d’autres. Après une semaine à perdre huit heures de vie par jour pour un employeur afin de mendier un salaire, c’est enfin le début de la vraie vie. Ce soir, la Rodia de Besançon propose une soirée rock avec The Bradley’s, Dirty Fonzy et les inoxydables Sheriff. Nous arrivons en tout début de soirée afin d’assister à une petite rencontre avec le chanteur Olivier Tena et le bassiste Michel Conegero, les deux fondateurs des Sheriff. Abordables, sympathiques, ils répondent à toutes les questions pendant presque une heure. Une bière tranquillement avalée et quelques conversations plus tard, la salle s’ouvre sur le premier concert de la soirée.

Il s’agit des Bradley’s, un groupe local. Je n’en sais pas plus sur eux. Si l’affiche est plutôt orientée punk au sens large, le début du premier morceau sonne curieusement, un peu comme du grunge des années 1990. Il y a cependant des riffs très acérés, un côté énervé à la punk qui ne peut pas être comparé à Nirvana. Et puis surtout, dans les tempos, les accords et le son, il y a un truc métallique qui traîne et qui me fait aussitôt penser à des groupes comme Amebix, qui savaient habilement mêler le punk et des rythmes et riffs heavy-metal inspirés de Black Sabbath.

Le chanteur-guitariste Mat a un timbre intéressant. Il a un phrasé mêlant chant et déclamation, et une intonation teigneuse qui rebondit agilement sur les riffs percutants. Johan le bassiste agite sa longue crinière et parcourt la scène, faisant cogner sa basse à cinq cordes. Le batteur Fred ressemble à ces musiciens alternatifs des années 1990, avec un air juvénile et branleur qui contraste avec ses coups solides sur les caisses.

Si les derniers morceaux du set sont plus punk classique, sans doute pour plaire à un public avant tout venu pour les Sheriff, les cinq ou six premiers morceaux m’ont convaincu qu’il y avait quelque chose dans leur musique. J’ai fait l’acquisition de leur premier album à la sortie du set. Et je l’ai gardé dans sa cellophane jusqu’au moment approprié.

C’est dimanche soir. La nuit est tombée, et le vent commence à souffler puissamment, annonçant une semaine de pluie qui elle-même va précéder le passage à l’heure d’hiver, ce moment où l’on se lève pour aller bosser avant le lever du soleil, et où l’on revient après son coucher, ne voyant la lumière solaire que par la fenêtre d’un bureau, d’un camion, ou d’un atelier.

Les Bradley’s sont originaires de Belfort. La petite cité fortifiée par Vauban, coincée entre l’Alsace, la Franche-Comté, l’Allemagne et la Suisse, a gardé un aspect très industriel. Il y a les usines Peugeot de Sochaux au Sud, dans le Doubs limitrophe, et bien sûr Alstom et ses turbines que notre bon président de la République a monnayé aux Américains lorsqu’il était ministre de l’Economie, en bon ancien et détestable banquier d’affaires. L’architecture est un mélange d’usines, de fortifications du dix-huitième siècle et de bâtisses à l’influence alsacienne et germanique.

Les Bradley’s se sont formés pendant le COVID. Il n’y avait effectivement pas mieux à faire que de la musique, et les trois copains ont assemblé ce trio pour ranimer un esprit grunge-punk-heavy-metal, ce crossover assez courant durant la décennie 1990. Ils captent un premier EP en forme de démo avec une pochette artisanale, qui réunit sept premiers efforts personnels, et qui sort au printemps 2022, lorsqu’enfin, il est possible de jouer sur scène hors du carcan réglementaire de la crise COVID.

Catch As It Goes permet de se faire une première idée de leur direction musicale, qui sonne encore très grunge-pop. Pour être tout-à-fait honnête, la musique n’a pas encore l’accroche nécessaire. Elle est solide, bien jouée, il y a de bonnes idées, mais tout cela sonne un peu trop grunge-metal rabâché. Les choses commencent cependant à être intéressantes sur « Tainted Noises », qui annonce une nouvelle direction plus punk-metal.

Forward sort en février 2024, et propose une musique bien plus personnelle et élaborée. Les Bradley’s ont du mordant, ce côté massif et granitique qui a fait sa force lors du concert à la Rodia. Pour être totalement transparent, il manque encore un je-ne-sais-quoi de puissance et de rage sur ce premier album par rapport à la prestation live, un côté plus malsain et méchant.

Mais Forward est déjà un très bon effort, et un pas de géant par rapport à Catch As It Goes. L’écriture est plus acérée, avec des morceaux à la mélancolie intense comme « The Line », ce dernier basculant ensuite dans une cathédrale de riffs et de tempos implacables. Il y a un truc entre Soundgarden et Kyuss, mais aussi cette rage punk qui animait aussi Black Flag et Dead Kennedys.

En fait, les Bradley’s se sont musicalement calés sur cette époque où une génération à la fin des années 1980 en avait marre des tubes MTV, et voulait jouer un mélange de vieux heavy psychédélique et de punk, ce qui donnera le stoner-rock en Californie et le grunge à Seattle au début des années 1990. Les Bradley’s ne se lancent cependant pas dans des odyssées sonores de cinq ou sept minutes. Mat reste un guitariste modeste, qui ne fait aucun solo de guitare, se consacrant aux mélodies, aux arpèges, aux riffs et aux arrangements avec Jo à la basse.

Les titres font autour de trois minutes, et développent chacun une multitude d’idées qui s’enchaînent avec précision. On retrouve là l’esprit d’Amebix, si ce n’est que ce dernier pouvait se montrer plus expansif sur la durée. Les Bradley’s ont choisi d’opter pour l’efficacité, le côté compact, pour rester solide et percutant en permanence. Et sur un set de quarante-cinq minutes comme le leur à la Rodia, cela a marché à merveille.

Forward est un bel ensemble de titres, dont l’énumération est assez vaine. Il y a dix titres solides pour trente-et-une minutes de musique, et tout passe à une vitesse folle, sans impression de redite ou de surplace. Chaque chanson se tient solidement sur ses appuis, et dégage sa personnalité propre avec fierté. J’ai un petit faible pour « The Line » avec son emphase mélodique à la Soundgarden. J’aime la méchanceté frontale de « White Pants & Red Hat », la noirceur de « Out Of Steel », le côté Queens Of The Stone Age de « Joy Breaker »… « As Soon As » achève le spectacle avec un mélange heavy-grunge parfaitement dosé.

Les Bradley’s partaient pour deux autres dates avec Dirty Fonzy et les Sheriff, et j’en étais heureux pour eux. Peut-être qu’ils pourraient tirer leur épingle du jeu, et installer définitivement une audience solide dan le Nord-Est de la France où ils tournent depuis 2022. Il y a moyen pour eux d’aller toucher un public dans le Sud-Ouest de la France. Les Dirty Fonzy d’Albi sont issus de cette scène. Je les avais vu il y a plus de vingt ans dans un bar à Albi à leurs débuts quand j’étais étudiant. Il y a là-bas un background punk-hardcore-metal à exploiter. Et pourquoi pas l’Espagne, du côté du Pays Basque et de San Sebastian, qui adore ce genre de groupes.


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