Witchcraft est de retour avec un septième album, le premier depuis cinq ans. Le groupe n’attire désormais qu’une curiosité convenue après l’honnête Nucleus en 2016 et le très acoustique Black Metal en 2020. Pour ceux qui ont découvert le groupe suédois à-minima avec Legend en 2012, ils vont de déception en déception. Mais avec Idag, mêmes les fans historiques vont tendre une oreille plus qu’attentive.
Witchcraft est déjà une sorte d’institution, ses débuts remontant à l’album Witchcraft en 2004 que j’avais acheté pour sa pochette magnifique et occulte, mais aussi pour son label de sortie : Rise Above, celui de Lee Dorrian de Cathedral. Durant trois albums, Witchcraft va produire trois albums d’une qualité exemplaire, mêlant Black Sabbath et Pentagram des années 1970, et associant une atmosphère occulte magnétique venant autant de la contre-culture britannique (les films de la Hammer, les livres de Dennis Wheatley), que des origines nordiques du groupe, suédoises pour être précis. Cet univers très particulier rend Witchcraft, Firewood et The Alchemist fascinants. Mais ce que l’on savait moins, c’est que Witchcraft était avant tout son leader, principal compositeur, guitariste et chanteur : Magnus Pelander.
Il va saborder ce Witchcraft mythique, et accepter l’offre de Nuclear Blast pour l’album Legend en 2012, cinq ans après The Alchemist. Une grande tristesse va s’emparer des fans dont je fus, voyant se perdre l’un des plus formidables héritiers sonores du Pentagram des années 1971-1976, et du Black Sabbath des quatre premiers disques.
Legend fut loin d’être une déception. Il était et reste excellent. Mais il sonne indubitablement plus heavy et doom, d’une manière plus moderne. La qualité de l’écriture va demeurer, et ce sera le fil conducteur de l’oeuvre de la désormais entité Witchcraft qui se résume à Magnus Pelander. Legend laissait entrevoir une musique nouvelle, toujours dotée de cette âme doom occulte magnétique. Nucleus poursuit pour partie ce voyage, mais la flamme vacille quelque peu. Black Metal surgit en plein premier confinement COVID. Enregistré totalement en solo, Magnus Pelander capte une série de chansons avec sa seule guitare acoustique, prenant quelque part un contre-point à l’esprit du black-metal nordique, tout en maintenant cet esprit d’ermite.
Malgré une démarche artistique qui ne peut qu’être considérée que comme honnête, Magnus Pelander a perdu son public. On peut comprendre sa volonté de ne pas se retrouver enfermer dans un registre, ou coincé par des musiciens qui finissent par lui imposer ce qui doit sonner comme Witchcraft ou non. Mais force est de constater que le guitariste-chanteur a perdu du monde en route. Si seulement il avait poursuivi à publier des disques électriques, tout en osant des choses plus radicales à côté, comme un Reverend Bizarre, sa démarche aurait été mieux accueillie. Mais là, elle fut pour le moins radicale, comme une sorte de suicide artistique.
Il a fallu cinq longues années pour que Witchcraft fasse son retour discographique, et de la plus belle des manières. Le délai fut long, mais si on écarte la période COVID qui va s’éterniser jusqu’en 2022, on peut dire que Pelander a repris sa route artistique il n’y a pas si longtemps. Elle est heavy-psychédélique et doom, mais elle l’est avec une approche nouvelle.
Le guitariste-chanteur n’a en effet pas voulu refaire du « vieux » Witchcraft pour faire plaisir à ses fans et se refaire une santé financière. Si dès « Idag », on retrouve cette science du riff heavy acide et doomy qui fit l’alchimie magique des premiers albums du groupe, Magnus Pelander a fait le choix d’y injecter une nouvelle dimension. Et celle-ci est à nouveau un marqueur culturel fort de la part du musicien suédois.
La première face de l’album est composé de morceaux uniquement chantés en suédois. On pourrait y voir tantôt une approche un peu folk, ou alors une autre carrément réactionnaire dans l’esprit revêche du black-metal. Il n’en est rien ni de l’un, ni de l’autre. Magnus Pelander est allé s’abreuver de la source généreuse du heavy-rock psychédélique nordique. Le Danemark, la Suède, la Norvège et les Pays-Bas vont proposer dès le milieu des années 1960 des groupes authentiquement originaux, certes imbibés de culture rock anglo-saxonne, mais qu’ils vont rapidement tordre à leur avantage. Alors que l’on plane sur « Lucy In The Sky With Diamonds » des Beatles en Grande-Bretagne en 1967, au même moment les Who, Jimi Hendrix, Cream et Blue Cheer font des dégâts irréversibles chez les amateurs de décibels. Golden Earring, Baby Grandmothers, Moses, Culpeper’s Orchard, ou The Young Flowers dévoilent leurs musiques psychédéliques plus ou moins heavy, mais surtout de plus en plus souvent chantées dans leur langue maternelle. Et le danois ou le suédois ne sonnent finalement pas si différemment comparés à l’anglais.
Ce que Magnus Pelander entreprend avec « Idag », « Drömmar Av Is », « Drömmen Om Död Och Förruttnelse », « Om Du Vill » et « Glantan » et une suite créative croisant ses propres influences doom et ce son très caractéristique de la scène heavy-psychédélique nord-européenne. « Idag » est indiscutablement le coeur de cette suite audacieuse, avec son riff lourd et bavant d’acidité. Avec cette logique, Magnus Pelander retrouve là encore l’esprit black-metal, Darkthrone ou Bathory interpréteront ainsi des morceaux respectivement en norvégien et en suédois sur plusieurs de leurs albums. Sur cette première face, Pelander développe son esprit progressif, avec cette succession de morceaux à l’identité sonore très marquée qui suivent « Idag ».
« Burning Cross » semble débuter un tout autre univers. Il réveille l’esprit doom occulte psychédélique qui a fait le son de Witchcraft. « Irreligious Flamboyant Flame », « Christmas » et « Spirit » continuent cet esprit mystique. La thématique est la religion chrétienne, mais qui est la grande confrontation culturelle avec le polythéisme nordique et ses traditions païennes, évoquées sur la première face.
Ainsi, Magnus Pelander vient de produire un disque puissant et inspiré, dont la lecture profonde brasse ce duellisme entre paganisme nordique et religion chrétienne, qui va être aussi un sujet majeur pour le black-metal, à commencer par l’immense et suédois Bathory. Magnus Pelander continue de déstabiliser son public en jouant du folk acoustique hanté sur « Christmas ». Son horizon est désormais plus vaste, et cet alliage de musique folk acoustique sensible et d’électricité goudronneuse vient de trouver sa meilleure fusion. « Spirit » en est la plus belle des démonstrations. Pelander sait encore manier le riff.
L’album a été capté essentiellement en trio : Pelander au chant et à la guitare, Philip Pilossian à la basse, et Pär Hjulström à la batterie. Björn Ekholm Eriksson viendra apporter son synthétiseur uniquement sur le fabuleux « Inag ». Il regorge de ces multiples influences, et de cette volonté de développer un nouveau chemin musical qui réconcilie à l’instinct le son doom millésimé des débuts et les audacieuses tentatives artistiques suivantes.
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