Green Druid - Ashen Blood | Review




La pluie fine poussée par le vent fouette leurs visages. Le ciel est gris et bas. La végétation décharnée de l'hiver craque sous le vent, les buissons nus frissonnent, comme grelottant de froid. Ils marchent sur ce chemin humide et boueux, sans comprendre quel est leur but. Une force les appelle, noire, maléfique. Ils ont quitté la crasse de la ville pour se diriger dans ce bois voisin. Malgré l'obscurité qui tombe, la menace permanente du ciel et de la végétation subissant les assauts de l'hiver, Ils se sentent mieux ici. Ils ne supportent plus les lumières aveuglantes, les chorégraphies publicitaires, les beats électro omniprésents, ces grands panneaux où s'affichent en permanence des produits à consommer, et puis des chiffres, des prix, de l'argent à dépenser, à emprunter. Dans ce bois,ils sont seuls avec eux-même, face à la nature. La rudesse de l'hiver est une caresse. Le vent qui hurle par bourrasques glaciales les met à l'épreuve, mais ils savent déjà qu'il leur veut moins de mal que cet univers artificiel qui submerge nos vies. Peut-être menace-t-il car il croit qu'ils sont de ces hommes qui vont maltraiter cet univers de bois et de clairières. Mais ils sont là en amis.

Ashen Blood, un totem de granit obsédant




Ils ont fui Denver pour s'imprégner de la solitude, pour puiser dans les grands espaces du Colorado, en retranscrire les immensités et les désarrois. Chris McLaughlin à la guitare et au chant, Graham Zander à la guitare, Ryan Skates à la basse et Ryan Sims à la batterie ont débuté leur aventure sous le nom de Green Druid en 2015. Quatre premiers titres ont été lancés en éclaireur en 2015, uniquement téléchargeables. En 2017, il signe sur Earache, le label de Metal extrême se spécialisant de plus en plus dans le Doom et le Stoner, et sorte un premier EP trois titres du nom de « Ashen Blood ». Le premier album, nommé « Ashen Blood », reprend le nom, la pochette et les trois titres du EP, auxquels s'ajoutent quatre nouveaux morceaux.


Green Druid est un monde à lui tout seul. Il ne prétend pas inventer quoi que ce soit : la musique est imprégnée de celle de Sleep, c'est une évidence. Toutefois, il y a bien plus que cela. D'abord, il y a la voix de McLaughlin : elle ressemble à celle d'un enfant perdu en forêt, et ses intonations sont presque féminines. Ensuite, la musique en elle-même est hantée par un malaise profond, cette volonté d'affronter coûte que coûte l'adversité, quel qu'en soit le prix. Le vent dans les branches, la pluie qui s'abat, froide, sur le chemin de terre, les goules qui s'avancent, en file, capuche sur la tête... Les morceaux de Green Druid sont des processions angoissantes, gorgées de fureur.

Ce qu'il faut en retenir ?



'Pale Blood Sky' s'ouvre sur un larsen arrachant les crocs, avant qu'un riff hargneux gronde dans les enceintes. Le tempo est massif. C'est une colline à gravir, la lumière pâle de la lampe d'un magicien brillant au loin sur le sommet. Les chorus sont fort rares. Il s'agit de planter un climat, de construire des cathédrales de riffs lourds.

'Agoraphobia' déroute. Il débute par un vrombissement électrique, une guitare jouant en continu un riff liquide, porté par une basse aux accents jazz et une batterie souple. Ce son aérien et oppressant rappelle les expérimentations du duo formé par Brian Eno et Robert Fripp en 1972. McLaughlin chante comme une sorcière possédée. Le côté aérien s'échappe peu à peu, l'air se raréfie. Le chant se transforme en cri de loup pris au piège. Les guitares commencent à monter une barricade de riffs oppressants. Le morceau oscille entre ces deux climats, entre flottement électrique et agression sonique.

'Dead Tree' débute par un riff assassin, une bête, un monstre. Rythme tribal, larsen, grondement sourd, c'est la colère des dieux païens. La fureur alterne avec des accalmies aux allures d'éclaircies dans un soleil d'orage.

'Cursed Blood' est le gros morceau disque, avec ses dix-huit minute et trente-quatre secondes au compteur. Les précédents morceaux étaient déjà autour des dix minutes, mais nous voilà emporté dans un voyage émotionnel des plus intimidants. Le riff se répète en procession, obsédant jusqu'à la moëlle. Comme 'Dopesmoker' de Sleep, on ne peut se détacher de ce riff simplissime mais obsédant, au son si majestueux. Le chant brouillé rappelle Electric Wizard. Toutefois, Green Druid sait alterner les climats, monter ces architectures électriques, ces monuments gothiques de riffs massifs qui transforment chacune de leur reddition en voyage intérieur.

'Rebirth' débute par un assourdissant riff de basse passée à la fuzz. Plus « rapide », je pèse mes mots, il n'est pas sans rappeler 'Vinum Sabbathi' d'Electric Wizard, jusqu'à ce que s'abatte la cavalcade électrique des géants de pierre. 'Ritual Sacrifice' est le dernier épisode de cette odyssée au fond des ténèbres de l'âme humaine. Il flirte avec le premier album d'High On Fire, avec ce sens du groove dans le riff lourd et obsédant. L'instrumental totalement angoissant 'Nightfall' vient clore le disque : cri de corbeau, bruit de lame qui s'aiguise, crépitement de bois en flammes, petites notes de guitare qui picore au milieu de l'angoisse totale.

« Ashen Blood » est une réussite totale pour qui se sent capable de s'immerger dans la noirceur la plus totale, pour qui sait affronter des monolithes de Doom-Metal aussi massifs que totalement fascinants. Rarement un groupe n'aura été aussi original avec aussi peu de références musicales. Green Druid échappe totalement au plagiat. Il crée son univers, et s'impose, parce que sa musique est une symphonie d'outre-tombe.