Elder-Omens | Review



Ce quatrième album studio de Elder est attendu depuis maintenant trois longues années. Le groupe nous avait offert un EP pour patienter l'année précédente : « The Gold & Silver Sessions ». Elder avait alors prévenu : des changements étaient à prévoir pour le nouveau LP. Le EP avait laissé sur sa faim ceux qui avaient vibré pour les précédents disques, alliage de jams en studio où l'on reconnaissait certes la patte du groupe, mais dans lequel on ne trouvait là rien de fatalement transcendant annonçant un virage musical majeur.

En même temps, les changements de cap sont souvent à craindre de nos jours. Combien sont-ils à avoir vendu leurs âmes au Diable Dollar pour enfin connaître le succès grand public ? Qui se souvient des fabuleux albums Blues des Black Keys au début des années 2000, avant qu'ils ne se décident à franchir le cap de l'electro-pop avec un vague vernis vintage blues ? Et les albums des White Stripes, avant que Jack White en solo ne répondent aux mêmes sirènes conformistes ? Il était inconcevable qu'Elder ne se perde dans un tel torrent d'imbécilité. Pas eux.

Omens, un album tant attendu


Elder est le groupe de Stoner-Metal qui s'est imposé auprès du public spécialisé grâce à une série de trois albums absolument impeccables, tous empreints d'une âme vibrante : « Dead Roots Stirring » en 2011, « Lore » en 2015, et « Reflections Of A Floating World » en 2017. ce dernier avait déjà proposé de menus changements sonores avec l'arrivée de Michael Risberg à la seconde guitare et aux claviers. Sans dénaturer la musique de Elder, son apport l'avait enrichi, et ouvrait de nouvelles possibilités sonores.

Entre-temps, Elder s'était focalisé sur les marchés porteurs, boudant désormais la France après deux passages au Glazart de Paris en 2015 et 2017 dans le cadre des Stoned Gatherings. A cette dernière édition, le guitariste-chanteur Nick DiSalvo se montra agacé par la situation : pris au milieu d'une affiche de trois groupes dont ils n'étaient pas la tête d'affiche (Toner Low+Elder+Acid King), leur concert avait été interrompu par une coupure de courant en plein milieu du set à cause de la chaleur et de l'humidité de la salle (nous étions plusieurs centaines, entassés dans une salle bas de plafond, en plein mois de juillet). Le public applaudit comme il se doit le quatuor, mais ne se précipita guère sur le merchandising. Jack Donovan, le bassiste, assura donc le capital sympathie, personnage jovial et passionné. Mais il était évident que ce set ne resterait pas comme l'un des meilleurs souvenirs pour le guitariste, visiblement frustré. Les tournées européennes depuis 2018 évitent donc soigneusement la France, et la dernière en date ne semblait pas changer cet état de fait. L'Allemagne, les Pays-Bas et l'Europe de l'Est sont des territoires bien plus friands de Stoner que la France, et surtout plus prompts à offrir à un groupe comme Elder la place sur l'affiche qui lui revient.

Ce qu'il faut en retenir


« Omens » sort donc en cette année 2020 particulièrement catastrophique, notamment pour tous les musiciens. L'album, prévu de longue date sort pourtant fin avril, en plein confinement. On espérait une reconnexion avec la France, puisque l'album fut mis en boîte au studio Black Box à Noyant-La Gravoyère, bourgade du Maine-Et-Loire. Le line-up de Elder a changé. Aux côtés de Nick DiSalvo, Jack Donovan et Michael Risberg, on trouve Georg Edert à la batterie en lieu et place de l'historique cogneur Matthew Couto. Fabio Cuomo a ajouté des claviers à ceux de DiSalvo et Risberg.

A la première écoute, ce qui déstabilise est l'apparente douceur de la musique. On connaissait Elder faisant cracher la foudre, le voilà plus délicat. Que l'on se rassure, les guitares grognent encore, il n'est pas question ici de pop-rock. Il semble que DiSalvo ait travaillé son chant. Il se montre plus clair, toutefois, il peut paraître un peu trop scandé, trop en avant, moins sauvage dans le mix.

Les climats psychédéliques et romantiques ont pris davantage de place, notamment par l'apport de différents claviers : piano électrique, synthétiseurs, mellotron… Une couleur Pink Floyd se dessine, celui de « Wish You Were Here », avec une tonalité plus métallique. La « nouvelle » voix de DiSalvo n'est pas sans rappeler celle de David Gilmour. Les pièces musicales sont épiques, il y en a cinq pour 55 minutes d'écoute.

Celle qui se distingue parmi toutes est la troisième : 'Halcyon', formidable épopée électrique rebondissant sans cesse entre rock progressif torturé et hard-rock sombre. C'est d'ailleurs la dominante de l'album : il n'est plus question de coups de boutoir émotionnels, mais de climats qui s'installent, lancinants, mélancoliques, entre les arpèges de guitare électrique et les notes liquides de piano électrique. 'Omens' qui ouvre l'album perturbe l'auditeur, car c'est de loin le plus maritime de tous les morceaux, balançant au gré du ressac. 'Embers' fonctionne d'ailleurs un peu de la même manière. Sans doute est-ce l'influence de promenades le long de l'Oudon, rivière non loin de Noyant-La-Gravoyère, courant à travers la campagne et les pierres.

Si un bémol doit être apporté sur ce disque, c'est sur le dernier titre, 'One Light Retreating', un peu redondant et qui peine un peu à nous transporter dans le monde qui est le leur. Bien sûr, tout y est : les riffs épiques, les harmonies douces amères, mais il manque cette petite pointe d'originalité qui fait de chacun de leurs morceaux une grande pièce de musique de rock moderne.

« Omens » est toutefois un très bon disque, doté de l'ADN et de l'esprit d'Elder. Tout y est, et les changements ont été opérés en douceur sans dénaturer la personnalité profonde du groupe. Il faudra toutefois que Elder veille à ne pas trop adoucir son propos et à se laisser aller à trop de climats psychédéliques mélancoliques aux claviers, prenant le pas sur la hargne épique qui fit la valeur de leur musique, au risque de perdre leur public sans en gagner de nouveau.

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