BUFFALO - Volcanic Rock | Archéo-chronique

 


La scène rock australienne est un immense brasier dans lequel des dizaines de groupes passionnants sont apparus, mais seront pour la plupart restés cantonnés à leur île d’origine. Il faudra attendre la seconde moitié des années 1970 avec AC/DC puis Rose Tattoo et The Angels pour que l’Europe et les Etats-Unis comprennent l’ampleur du talent de ces groupes australes. Chez les amateurs de heavy-rock tendance stoner, un nom et un disque reviennent fréquemment : Buffalo et son second album Volcanic Rock.

Le chanteur Dave Tice et le bassiste Pete Wells fondent Head dans les faubourgs de Sydney en 1968. Le rock australien a brièvement surgi sur la scène internationale grâce au tube Friday On My Mind des Easybeats en 1966, groupe mené par les guitaristes Harry Vanda et George Young, le grand frère d’Angus et Malcolm Young. Head pratique un rock pop bien dans son époque, mais pas suffisamment original pour intéresser les maisons de disques. Il prend réellement forme avec l’arrivée du guitariste John Baxter et du batteur Paul Balbi. Le son s’est durci, l’Australie étant elle-aussi frappée par l’arrivée du heavy-rock naissant de Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath. Le pays est particulièrement sensible à ces formes de rock rustre et agressif, les jeunes vivant dans des conditions rudes et sous la coupe d’une police particulièrement violente qui adore casser du chevelu. Le mouvement hippie prendra d’ailleurs peu en Australie, préférant le style pub-rock, soit un blues-rock lourd mené par les Aztecs de Billy Thorpe et les Wild Cherries de Lobby Loyde. Tous deux ont littéralement révolutionné la scène rock australienne avec leur musique puissante, traversée de guitares ahurissantes de virtuosité et d’inspiration heavy-acide.

Après un unique simple chez Philips, Hobo/Sad Song, Then, Head devient Buffalo et signe chez Vertigo en 1971. En 1972 sort leur premier album Dead Forever. Le groupe est un quintette avec deux chanteurs, Alan Milano partageant le chant avec Dave Tice. Si le son est déjà heavy, on y trouve une musique assez variée, encore teinté de soul à l’australienne comme la pratiquait aussi les Aztecs durant les années 1960 ou les Masters Apprentices sur leur premier album. Le LP se vend bien, et a même de l’écho en Grande-Bretagne. Pourtant, et de manière assez inexplicable, Buffalo peine à trouver des concerts, et ce malgré leur très bonne tenue sur scène. Les promoteurs hésitent à les programmer, pensant sans doute à une formation poussée par la publicité et non par leur bravoure scénique, comme la plupart de leurs camarades dont la réputation s’est avant tout établi en labourant consciencieusement le pays avant de sortir quoi que ce soit.


Buffalo, un groupe majeur

Devant l’adversité, Buffalo splitte, et Dave Tice fonde Mr. Madness. Ce dernier groupe commence à s’établir gentiment, lorsque Vertigo les rappelle fin 1972. Black Sabbath vient jouer à Sydney au Hordern Pavilion les 16 et 17 janvier 1973, et le label, qui est également celui de Black Sabbath, veut Buffalo en première partie. Buffalo se reforme alors sans Alan Milano, et se produit en première partie des maîtres du heavy-metal anglais. Juste après le second show, Dave Tice saute dans un taxi pour assurer trois sets de Mr. Madness bookés de longue date dans une discothèque. Mais l’esprit de Buffalo est revigoré, et Dave Tice décide de revenir à plein temps.

Grâce à ces deux shows avec Black Sabbath, les propositions de concerts affluent, et Dave Tice, John Baxter, Pete Wells et leur nouveau batteur Jimmy Economou ratissent le pays, se forgeant un public solide près à entendre leur second album. L’enregistrement débute aux United Sound Studios de Sydney, l’un des tous meilleurs du pays, qui disposent de la technologie quadriphonique utilisée par Pink Floyd, mais certainement pas par Buffalo pour son nouveau LP. Grâce aux récents concerts, le quartette s’est forgé un répertoire avec de nouvelles chansons particulièrement heavy et sans concession. Rodés par plusieurs mois de concerts, la rage au ventre, et trop heureux de cette inespérée seconde chance, Buffalo envoie cinq nouvelles compositions live dans le studio.

L’architecture de la musique de Buffalo n’est pas très éloignée de celle de Black Sabbath, avec un quatuor guitare-basse-batterie-chant basé sur des riffs de guitare agressifs et une rythmique lourde et impitoyable, mais aussi avec ses caractéristiques typiquement australiennes. La voix de Dave Tice est puissante et rugueuse, provenant du blues et du pub-rock. La basse de Pete Wells est jouée au médiator et claque comme des coups de fouet sourds derrière les guitares. Quant à ces dernières, celles de John Baxter, elles ont un côté sale, poussiéreux.


Que faut-il en retenir 

Cela s’entend dès le fantastique « Sunrise (Come My Way) ». La guitare de Baxter arrive en avalanche de riffs et de petits chorus proto-rythmiques, tapie sur une batterie et une basse rigide et violente. Dave Tice rugit au-dessus de ce bruit de bombardier sonore. Les textes de ce dernier vont particulièrement faire mouche, mêlant habilement subversion sexuelle, violence sociale et connotations religieuses.

« Freedom » est une heavy-blues song en forme de procession quasi-gothique, au dénuement sonore rappelant Free, mais avec une violence sonore bien plus grande. Les titres sont plutôt longs, entre cinq et plus de dix minutes. « Freedom » en fait neuf de solitude désertique hantée. Baxter joue sur l’écho de la sonorité de quelques accords, Tice hurle son désespoir d’une manière émouvante. Son timbre reste une énigme pour un jeune homme de vingt-trois ans. Wells, Baxter et Economou se mettent peu à peu à mouliner le thème pour en créer une sorte de nappe de métal incandescent. Baxter brode de petits motifs solo régulièrement accompagnés de larsens inquiétants.

« Till My Death » est une heavy song à la « Iron Man » particulièrement efficace, guitare et basse créant une sorte d’ondulation électrique continue sur laquelle rage Dave Tice. Un pont plus mélodique vient abaisser un peu la température, mais le répit est de très courte durée sur cet album.

« The Prophet » est un des grands sommets de ce disque avec son thème squelettique et son tempo en forme de marche funèbre. Dave Tice y fait ouvertement référence à Moïse et aux premiers chrétiens traversant le désert du Sinaï. De manière particulièrement fine, Tice se met dans la peau du prophète, et semble indiquer aussi la route à toute une génération en quête de liberté. La basse de Pete Wells déroule des motifs ondoyants et lourds, bien calé sur la batterie, sa basse sonnant ample et élastique. John Baxter tisse de petits pointillés de guitare heavy-blues comme semblant onduler sous le soleil du désert. La voix de Dave Tice est superbe, intense, entre blues et soul. Sur le même principe que Free, Baxter fait lentement monter ses chorus, qui ne sont que des déformations acides du thème.

« Shylock » se divise en deux parties : la première, « Pound Of Flesh » est une sorte de jazz-rock hanté inspiré autant de Ten Years After que de Black Sabbath. La seconde, le morceau-titre, est un décollage heavy avec un riff particulièrement méchant, quasi-proto-thrash. On se retrouve sur le tempo de « Paranoid » de Black Sabbath, mais avec un riff d’une force ahurissante pour l’époque. Rappelons que les musiciens à cette époque n’ont quasiment rien comme pédales d’effet : tout se fait entre le choix de la guitare et l’amplification, auquel peuvent s’ajouter un peu de saturation et de wah-wah. Mais tout se fabrique dans le halo de réverb entre le guitariste, les amplificateurs et les retours, le positionnement du musicien créant des sonorités différentes suivant la distance avec l’amplification. « Shylock » grogne dans un orage d’éclairs électriques.

Ainsi se termine l’un des albums les plus intenses et fous de l’histoire du rock australien. « Only Want You For The Body » de 1974 et « Mother’s Choice » de 1975 sont également fortement conseillés, véritables tempêtes complémentaires de la discographie de Buffalo. Le groupe connaîtra une courte phase de quelques années de félicitée avant que le départ de John Baxter ne sonne le glas musical de Buffalo. Ce dernier se disloque officiellement en octobre 1977. Baxter a quitté le navire en 1975, et Wells fait de même en 1976 pour fonder une des plus merveilleuses torpilles du rock australien : Rose Tattoo.



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