Birmingham est décidément une drôle de ville. C’est la cité historique du heavy-metal, là où sont nées deux formations de légende : Black Sabbath et Judas Priest. Ce que l’on sait un peu moins, c’est que le Black Country, le Nord industriel de l’Angleterre, a engendré d’innombrables groupes de heavy-metal de légende par la suite : Motörhead (Lemmy Kilmister est de Stoke-On-Trent), Diamond Head, Raven, Tygers Of Pan Tang, Venom, Def Leppard, Witchfynde, Witchfinder General sont tous de cette région dont Birmingham est le centre névralgique. Cela peut sembler étonnant, mais le heavy-metal est avant tout une musique de prolétaires, qui permet de se défouler après une semaine à l’usine. Ce sera aussi une musique haïe par la presse musicale, dont les auteurs sont largement issus de la classe moyenne, et tous en études supérieures. KK Downing de Judas Priest expliquait qu’inconsciemment, le groupe reproduisait en musique le battement des presses hydrauliques qui emboutissaient les tôles à longueur de journée. Et leur album British Steel se nommera ainsi en hommage à la compagnie nationale britannique de sidérurgie basée à Birmingham, et qui sera privatisée par Margaret Thatcher en 1980 après de violents conflits sociaux à la fin des années 1970.
De tout ce passé ouvrier, il ne reste plus grand-chose. Comme la France, la Grande-Bretagne est largement désindustrialisée. Nos élites de génie ont cru que le concept d’entreprises sans usines, où l’on fait tout fabriquer dans des pays à bas coût, et notamment la Chine, permettrait d’éliminer la pollution et le prolétariat. Ils ont eu raison sur ce point, par contre, ils ont oublié que les chinois produisent en échange des savoirs-faire que les occidentaux vont leur donner, aveuglés par le gain. Désormais, ils n’ont plus besoin de nous, car ils n’avaient curieusement pas envie de rester de petits ouvriers dociles à la merci de l’Occident et envisageaient aussi d’accéder au statut de classe moyenne.
Birmingham est aujourd’hui un étrange mélange sociologique où les populations blanches sont ravagées par le chômage, et où l’emploi, essentiellement basée sur des activités de commerce et de services informatiques, est dominé par des immigrés d’origine pakistanaise ou indienne fortement diplômés. Les industries de la sidérurgie, de l’automobile et du charbon sont désormais devenus des souvenirs, avec leurs musées. C’est un monde révolu, lointain, qui permit pourtant à la ville d’avoir son identité, et même sa propre musique rock. Birmingham, comme le reste du Nord de l’Angleterre, est aujourd’hui considérée comme une vitrine à cas sociaux, tributaires des aides sociales pour survivre. Ils étaient des ploucs, des brummies comme on les appelait à l’époque, ils sont aujourd’hui des pestiférés et des assistés.
C’est dans cette ambiance étrange qu’a vu le jour Margarita Witch Cult au début de l’année 2022. On ne sait pas grand-chose du groupe en lui-même. Mais il va rapidement se faire remarquer au Desert Fest de Londres pour sa pratique du doom-metal sabbathien particulièrement savoureuse. Margarita Witch Cult de 2023, leur premier album, a été amoureusement chroniqué dans ces pages en son temps. Il lui manquait cependant un petit quelque chose pour rendre le groupe vraiment génial malgré une formule mille fois empruntée. Il semble que l’heure soit venue pour Margarita Witch Cult d’atteindre son plein potentiel créatif avec son second album : Strung Out In Hell.
Le groupe a conservé la même configuration : Scott Abbott (ex-Vincent comme il se faisait appeler au début) à la guitare et au chant, George Casual à la batterie, et Jim Thing à la basse. Le groupe propose un doom-metal qui va autant piocher dans l’univers d’un Witchfinder General, que celui du Black Sabbath des débuts et de Uncle Acid And The Deabeats. Il y a une petite patine vintage dans leur son qui n’a rien de snob. Il s’agit seulement de retrouver le son magique des grands anciens. Ce second album propose de nombreuses surprises qui voit Margarita Witch Cult s’ouvrir des portes très intéressantes.
« Crawl Home To Your Coffin » propose justement cette parfaite mixture entre Witchfinder General et Uncle Acid. La première partie de l’album est de cet excellent bois. « Scream Bloody Murder » brutalise l’auditeur avec un groove lourd redoutable. « Conqueror Worm » dévoile sa lourdeur implacable, entre Black Sabbath, Witchfinder General, et une petite pointe de psychédélisme noir à la Black Widow. « Witches Candle » est un uppercut de doom-metal féroce, comme si Uncle Acid reprenait du Candlemass. « White Wedding », une reprise de Billy Idol, fait revivre avec génie le « brown sound » du Black Sabbath du Vol.4 de 1972, avec une petite touche psychédélique sur le chant. Le riff est absolument enivrant, avec cette saturation magique qui vous transporte littéralement, comme sait si bien le faire le bon doom-metal.
Avec « Mars Rover » commence une facette plus expérimentale du doom de Margarita Witch Cult. Ce morceau propose un croisement entre le space-rock d’Hawkwind et le boogie doom à la Witchcraft des premiers disques. « Dig You Way Out » est le titre le plus discutable de l’album. Loin d’être mauvais, il propose un riff intéressant, mais il est surmonté par un chant hurlé et saturé inspiré du metal punk bas gamme. « The Fool » est bien plus intéressant, proposant des arrangements discrets mais audibles de cuivres dans l’esprit de « Evil Woman (Don’t Play Your Game With Me) » de Black Sabbath. Le riff est redoutable, la guitare est féroce, et le jazz à la limite du free flirte avec elle sur le solo. Pour ceux que cela intéresse, le guitariste prodige du groupe Colosseum, un des grands pionniers du jazz-rock anglais, était de Birmingham : Dave « Clem » Clempson. Son premier trio de blues-jazz, Bakerloo, fut managé par Jim Simpson, qui s’occupait également d’un certain Black Sabbath en 1969-1971.
« Who Put Bella In The Wych Elm » s’impose comme le grand final de cet album plutôt court, avec trente-sept minutes au compteur, à peine six minutes de plus que son prédécesseur. Il frise les sept minutes, mais surtout il transpire du son et de l’esprit d’Electric Wizard sur ses quatre premiers albums. On y retrouve une voix saturée et hurlante, comme possédée, des riffs pachydermiques et hallucinés, et une rythmique obsédante au groove intrigant.
Margarita Witch Cult a réussi deux grands objectifs avec ce nouvel album. Il confirme son talent indiscutable de doomer de qualité, et sa capacité à explorer d’autres horizons tout en restant lui-même. Sa rigueur sonore et artistique reste irréprochable. Le trio ne s’enferme pas dans un seul type de doom, et ne s’interdit rien dans que le riff reste massif et sabbathien. Il faudra attendre désormais un long mois pour pouvoir se procurer cette merveille.
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