Ce
disque ne fera sans doute pas beaucoup de bruit dans l'univers
musical actuel. Trop pointu pour faire partie de la presse musicale
généraliste, trop ancestral pour attirer le jeune public, il
n'attirera qu'une poignée d'initiés qui savent combien les Pink
Fairies sont précieux. Sa sonorité sauvage, hard, bluesy, et
psyché va devenir l'une des références musicales du stoner au
milieu de Blue Cheer, MC5, Stooges, Motorhead,
Hawkwind, Black Sabbath, Budgie....
Resident Reptiles, le retour des Pink Fairies, pionniers stoner-rock miraculeux
Il
faut remonter à la fin des années soixante pour retrouver les
racines de ce groupe anglais. Au départ, il y a les Deviants,
formation psychédélique pilotée par le journaliste Mick Farren.
Sorte d'alter-ego anglais du MC5 pour sa musique sans
concession et son discours libertaire, les Deviants sont à
l'origine d'un rock anarchiste qui conduira dix ans plus tard au
punk. En 1969, le line-up est totalement revu : Farren reste en
tant que chanteur. Il s'entoure de Duncan Sanderson à la basse, de
Russell Hunter, et d'un guitariste canadien du nom de Paul Rudolph.
De lui, Farren dira : « il avait le bras droit atrophié,
et il compensa ce handicap en jouant comme Jimi Hendrix. »
Les
Deviants deviennent The Pink Fairies en 1970 après le
départ de Farren. Un second batteur, également chanteur, est
intégré : John « Twink » Adler, ancien membre des
Pretty Things. Le nom de la formation provient d'un club de
motards de la banlieue de Londres : The Pink Fairie Motorcycle
Club. Ils se basent dans un quartier à l'abandon de la capitale
britannique : Ladbroke Grove. Plusieurs groupes s'y établissent,
squattant de grandes bâtisses inhabitées : Pink Fairies,
Hawkwind, Man, Pretty Things…
Du
rock azimuté des Deviants, les Pink Fairies en
conservent le psychédélisme. Ils s'orientent vers un rock gorgé de
blues à la puissance sonore inédite, une forme de proto-metal sans
concession loin des arabesques sonores de Led Zeppelin. Avec
Hawkwind, ils sont de tous les concerts gratuits, et de tous
les soutiens aux mouvements de l'extrême-gauche britannique. Le
premier album, « Never Never Land », sort en 1971.
il est précédé du tonitruant et très sexuel 'The Snake' puis du
simple 'Do It !', véritable appel à l'émeute. Le premier
album brille notamment par son dantesque monument de heavy-metal
psychédélique 'Uncle Harry's Last Freakout'. On trouve aussi un
morceau brutal qui annonce rien de moins que Motorhead :
'Teenage Rebel'.
A
la fin de l'année 1971, Twink s'en va pour tenter de monter un
groupe avec l'ancien leader de Pink Floyd, Syd Barrett.
Désormais sous la forme d'un trio, Rudolph a les mains totalement
libres pour imposer sa vision. Les mélodies psychédéliques de
Twink sont totalement remplacées par le féroce heavy-blues acide du
guitariste. « What A Bunch Of Sweeties » sort en
1972, et atteint même la 50ème place des meilleurs ventes d'albums
en Grande-Bretagne. Le disque est une nouvelle merveille où brille
de mille feux la guitare féroce de Rudolph, ainsi que son timbre
vocal râpeux. Il finira pourtant par partir à la fin de l'année
1972 pour travailler avec Brian Eno. Il remplacera également
Lemmy Kilminster dans Hawkwind à partir de 1975 jusqu'en
1977. Enfin, il se découvrira une passion pour le vélo, et
deviendra cycliste professionnel puis concepteur de VTT de
compétition.
Il
est remplacé par le guitariste-chanteur Larry Wallis. « Pigs
Of Oblivion » voit le jour en 1973. Le son tendu et
électrique du nouveau leader défriche plus que jamais le punk à
venir. Le groupe commence à avoir des difficultés avec son label,
et les concerts peinent à faire vivre les trois musiciens. Un
quatrième album est enregistré, mais ne verra le jour qu'en 1982.
Le concert à la Roundhouse de Londres en 1975 est censé être le
point final des Pink Fairies. Pour l'occasion, Paul Rudolph et
Twink reviennent jouer. Le groupe poursuivra toutefois quelques mois
avec un autre guitariste, Andy Colquoun, avant de se séparer
définitivement.
Les
années 80 et 90 verront des tentatives de reformations avec albums
autour de Sanderson, Hunter, et Wallis. Paul Rudolph a disparu corps
et âme du monde de la musique au crépuscule des années 70. La
dernière tentative en date remonte à 2017 autour de Sanderson,
Hunter et Colquoun, avec le triste « Naked Radio »
et son rock psyché mal réchauffé. Il semblait alors que le brio
musical des Pink Fairies était plus que jamais fixé entre
1970 et 1973. Qu'attendre de musiciens qui tous atteignent les
soixante-dix ans, et sont désormais bien loin de la folie de leur
vingt ans ?
La
surprise du fan des Pink Fairies que je suis fut de découvrir
l'existence de cet album, et encore plus d'apprendre qu'il marquait
le retour de Paul Rudolph. La section rythmique historique n'est pas
au rendez-vous, puisqu'impliquée dans l'autre Pink Fairies avec
Colquoun. Sanderson et Hunter sont remplacés par deux recrues de
choix. Alan Davey est à la basse, ancien membre d'Hawkwind dans
les années 80 et 90, et véritable enfant spirituel de Lemmy
Kilminster dans son jeu de basse. Lucas Fox, premier batteur de
Motorhead, est derrière les caisses. Ce curieux équipage une
fois réuni, ils ont enregistré huit nouveaux morceaux et publié ce
« Resident Reptiles » tout neuf.
Je
dois avouer avoir eu une petite appréhension avant d'écouter ce
nouveau disque. Je fus déçu par le précédent Pink Fairies,
le tiède « Naked Radio ». Et que penser du retour
de Paul Rudolph ? Serait-il à la hauteur de mes attentes ?
Serait-il encore capable de m'émerveiller comme il le fit au début
des années 70 ?
Que faut-il en retenir ?
Autant
répondre tout de suite par l'affirmative : ce disque est très
bon. Il n'est pas réellement le successeur logique de « Never
Never Land » et « What A Bunch Of Sweeties ».
Il a en fait une petite saveur d'Hawkwind. Mais avec deux
anciens bassistes et compositeurs du groupe
à bord, est-ce vraiment si étonnant ? Les Pink
Fairies 2018 sont un groupe puissant, électrique, tendu,
dynamique. On retrouve un heavy-rock psyché particulièrement
nerveux, gavé de guitare acide et de basse vrombissante.
Le
morceau titre est une cavalcade de six minutes absolument redoutable,
addictive. Lucas Fox est un surprenant batteur. Il ne m'avait guère
impressionné sur l'album « On Parole » de
Motorhead, mais se montre ici particulièrement efficace et
inventif. Alan Davey est un sacré bassiste, ferme pilier rythmique
sur lequel Rudolph brode ses motifs acides. La voix du guitariste est
moins rocailleuse, mais conserve sa tonalité punk, un timbre juste,
toujours à la limite de la rupture.
'Old
Enuff To Know Better' est un fantastique heavy-rock psyché chanté
par Alan Davey, avec sa mélodie magistrale. Cet excellent morceau
est co-signé par Larry Wallis, autre ancien guitariste des Pink
Fairies historiques, démontrant toute l'excellence de ce nouveau
disque. Le groupe va aligner les pièces de choix, toutes empreints
de cette hargne et de cette construction à base de thèmes
obsessionnels et hypnotiques : 'Your Cover Is Blown', 'Mirage',
'Whipping Boy'…
Paul
Rudolph est toujours ce guitariste inspiré, au jeu puissant et
furieux. La saturation bouillonnante est désormais plus contrôlée,
mais la colère du jeune homme brûle encore dans le corps de ce
sexagénaire. Brillamment secondé par deux musiciens de choix
parfaitement indispensables pour faire de cet album une réussite,
Rudolph propulse à nouveau les Pink Fairies dans les étoiles.