Wyatt E - āl bēlūti dārû


Ils nous avaient subjugués lors de leur passage au Red Smoke Festival en 2019, on avait même eu la chance de pouvoir les interviewer face caméra (disponible ici). Les belges de Wyatt E reviennent en ce début de printemps avec « āl bēlūti dārû », leur troisième album. Difficile d’apposer une étiquette sur ce groupe : il navigue entre différents genres tels que le doom, l’expérimental ou encore le drone. L’une des marques de fabrique est ce côté typiquement oriental, qui peut les apparenter à leurs compères américains d’OM, même si c’est le seul point de comparaison entre les deux groupes. Quoiqu’il en soit, le trio belge aime explorer de nouveaux horizons musicaux pour continuer de construire son univers qui lui est propre. « āl bēlūti dārû » est une nouvelle pierre à cet édifice et comme pour les précédents albums ; Wyatt E propose deux titres qui frôlent les vingt minutes. De quoi laisser aux auditeurs le temps de rentrer dans son imaginaire…

Avant d’entrer plus en détails dans l’album, je tiens à rappeler que l’univers de Wyatt E est issu avant tout de l’Antiquité et puise ses forces de la période sumérienne (autour du IIe - IIIe millénaire avant notre ère) dans l’actuelle Mésopotamie. « āl bēlūti dārû » signifie « La Ville éternelle » dans le langage akkadien, c’est peut être une référence à la ville d’Akkad dont l’existence est attestée, mais qui n’a toujours pas été redécouverte aujourd’hui (les dernières mentions datent du IIIe siècle avant J.C). Me concernant, j’ai décidé de lire cet album comme d’une invitation à découvrir cette ville et de pouvoir la visiter à travers les compositions des belges.

« āl bēlūti dārû » de Wyatt E, un album qui pousse le concept du groupe encore plus loin


La première piste de cet album, ‘Mušhuššu’ (serpent/dragon rouge en sumérien), n’y va pas par quatre chemin pour emmener, presque en lui tenant la main, son auditeur dans le monde antique tel que nous pouvons l’imaginer à la lumière de nos connaissances actuelles. Une véritable ambiance de dégage de ce morceau notamment par le rythme particulier de la batterie qui sonne comme la fondation du titre. Ensuite, on se laisse bercer par les instruments dont les ondes viennent faire vibre nos tympans : synthé, saxophone… on croirait presque déceler une roue à vieille conférant au titre une sorte d’aura empreint de mysticisme. On s’imagine alors traverser une partie du désert de l’actuelle Irak quand au loin, on distingue une ville qui semble sortir de nulle part… ‘Mušhuššu’ est un titre qui s’étire en longueur, mais dans le bon sens du terme : il a la faculté de perdre son auditeur au fur et à mesure des minutes qui s’écoulent ; procurant cette sensation de perte du rapport au temps. L’écoute t-on depuis cinq, dix ou quinze minutes ? Peu importe, l’essentiel est de s’évader et de partir en quête de la ville d’Akkad… peut être que Marduk nous aidera dans notre épopée. Le morceau se termine sur l’apparition d’un instrument acoustique, un bouzouki il me semble répétant encore et encore les mêmes accords avant de disparaitre dans une sorte de brouillard….

… et ce dernier se dissipe à nouveau lorsque retentit les premières notes de ’Šarru Rabu’ (Le Grand Roi/Empereur Eternel en assyrien). Pour le petit côté historique, le « Grand Roi » fait sans doute référence à Adad Nerari 1er qui fût roi d’Assyrie. C’est sous son règne que le royaume unifiera une partie de la Mésopotamie grâce à des conquêtes militaires. Le morceau s’apparente d’ailleurs à une marche militaire, qui monte en puissance au fur et à mesure des minutes qui passent. Le synthé apporte une ambiance inquiétante et lugubre… comme si la mort allait sévir sur un futur champ de bataille. Les tambours retentissent de plus en plus vite et fort tandis que les guitares aux accents « drone » annoncent les légions de soldats qui semblent se diriger vers les royaumes voisins. La bataille sévit autour de la quinzième minute : guitare, batterie… tout retentit dans un chaos ordonné, les combats font rage ! Puis, dans la dernière ligne droite du titre, on s’imagine aisément les cadavres jonchant sur le sol tandis que le soleil réchauffe les derniers survivants d’un affrontement à mort. Les choses semblent s’apaiser, le rythme ralentit tandis que le synthé revient sur le devant de la scène avec son côté mortifère qui disparait au fur et à mesure que les soldats de Adad Narari 1er quittent le champ de bataille…

Que faut-il en retenir ?


« āl bēlūti dārû » est une invitation à un voyage dans une certaine vision du monde antique. Avec cet album, les belges de Wyatt E signent une œuvre majeure. On sent nettement l’évolution par rapport aux précédents albums du groupe. Le côté oriental me semble davantage prononcé par l’apport de nouveaux instruments qui semblent venir tout droit de cette période de l’humanité mais le groupe n’oublie pas pour autant ce côté « drone » et expérimental propre, notamment lorsque les guitares retentissent sur le second titre, puisque c’est presque l’une des signatures sonores des belges.

« āl bēlūti dārû » est sans conteste l’un des albums les plus déroutants de ce début d’année, mais des plus plaisants à écouter pour les personnes friandes de musique d’ambiance et de voyages sensoriels par les sons. C’est un véritable plongeon dans un passé très lointain, qui nous est inconnu… et qui pourtant semble si proche de nous. Wyatt E façonne un univers qui lui est propre mais dont chacun pourra se l’approprier à sa façon. En somme, c’est une belle claque auditive !

 

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