On commet tous des erreurs. Ne pas avoir vu passer cet album est sans doute l’une des plus grandes fautes de ma modeste carrière de chroniqueur rock. Je connaissais Barabbas de nom depuis pas mal de temps, mais je n’en avais pour l’heure jamais entendu plus qu’une poignée de titres. La dématérialisation a aussi accéléré la promotion de la musique techniquement très facile : il suffit d’envoyer un mail avec un lien de téléchargement, et voilà le chroniqueur en capacité de pouvoir écouter et écrire potentiellement sur un album. Ce flot est cependant si important que l’on loupe souvent des choses très intéressantes. On met de côté, ou on efface un peu trop rapidement les mails, et voilà des albums qui tombent dans les oubliettes de l’histoire du rock.
Le 9 décembre 2022, Barabbas fit paraître son troisième album : La Mort Appelle Les Vivants. Je n’en découvris l’existence que par la compilation Doomed & Stoned In France – Vol.2 chroniquée dans ces pages récemment. Y figurait « Le Saint Riff Rédempteur », un morceau démoniaquement efficace, et dont la particularité est qu’il maniait avec talent doom-metal et chant en français. J’ai fait tout récemment l’acquisition de La Mort Appelle Tous Les Vivants, et il me fallut me rendre rapidement à l’évidence que j’avais loupé un immense album de cette toute fin d’année 2022.
Un album de la maturité d'écriture pour Barabbas
Si je souhaite me rassurer un peu, disons que la discographie de Barabbas ressemble à beaucoup de groupes français underground : les albums sont rares, souvent auto-produits ou publiés sur de petites structures courageuses mais limitées en moyens. Barabbas, comme Conviction ou Hangman’s Chair à leurs débuts durent financer eux-mêmes les enregistrements, les tournées, et l’impression de leurs disques. Si le bénéfice ne fait pas vraiment partie de leur langage, un minimum d’équilibre financier est nécessaire pour pouvoir continuer à exister sans mettre en péril leurs vies personnelles, tous ayant évidemment un job alimentaire à côté.
Pour le coup, Barabbas avait presque disparu avant la sortie de ce troisième disque. Barabbas vit le jour en 2011, Messe Pour Un Chien en 2014, et puis il n’y eut plus rien pendant huit ans. Le quintette ne fut même pas frappé par de radicaux changements de line-up. Rodolphe au chant, Stéphane à la guitare, Jean-Christophe à la batterie et Jérôme à la basse étant toujours bien ensemble, secondé par Thomas à la seconde guitare. Leur union est telle qu’ils se sont même tous auto-proclamés saints.
Barabbas est originaire de Combs-La-Ville, en Seine-Et-Marne. La commune est séparée de l’Essonne par la forêt domaniale de Sénart à l’Ouest, et se trouve entre atmosphère de ville banlieusarde et racines rurales. La Brie est à l’Est, mais l’agitation de l’agglomération parisienne bourdonne non loin d’elle. Le groupe voit le jour en 2007, avec l’idée de déjà croiser doom-metal et chant en français. Les racines de la formation sont plutôt classiques, mais d’une efficacité redoutable : Pentagram, Candlemass, Reverend Bizarre, Count Raven. L’idée de se baser sur un doom-metal épique permet de développer des textes jouant sur la richesse du vocabulaire français. Son grand atout est d’avoir réussi la fusion avec ce dernier, et un côté inspiré de la littérature religieuse et gothique du dix-neuvième siècle. Il convient de préciser qu’il n’y a rien de prétentieux derrière cette approche artistique. Il s’agit de trouver les mots qui résonnent avec la même fureur que ceux en anglais sur du doom-metal. Et cela fonctionne rapidement à merveille.
Messe Pour Un Chien est un très grand disque, mais personne en France ne veut entendre parler de doom-metal, qui plus est en français. La presse française de manière générale, exception faite de quelques chroniques affûtées dans la presse Metal, ne sait pas ce qu’il se passe dans ses caves de province. Depuis le milieu des années 2010, une vague de formations françaises exceptionnelles a vu le jour, dont Rising Dust fut un des éclaireurs dès 2005. Le porte-étendard se nomme Hangman’s Chair, suivi de pas loin par Barabbas. Depuis quelques années ont émergé Conviction, Brüle, Fatima, Dyonisiaque ou Mauvaise Foi. Barabbas en est incontestablement le parrain. Mais il avait disparu depuis de trop nombreuses années. Il revint finalement à la vie avec un disque exceptionnel.
Barabbas est d’abord doté d’un vrai label Sleeping Church Records, de taille modeste, originaire du Mans. Mais ce spécialiste du Metal underground européen est un vrai atout, notamment en gérant tous les aspects techniques et financiers de la sortie d’un album, et permettant au quintette de se consacrer uniquement à sa musique. Et cela est clairement un vrai plus. Bien sûr, Barabbas a aussi largement mûri et travaillé en huit longues années.
Que faut-il en retenir ?
Et c’est ce qui fait toute la puissance de ce nouvel album. Les atours déjà impressionnants de Messe Pour Un Chien sont littéralement transcendés. Et cela s’entend dès le majestueux « Je Suis Mort Depuis Longtemps ». Le riff est ravageur, magnifiquement secondé de discrets claviers, orgue et mellotron. Le texte est d’une puissance tout aussi équivalente à la musique. Il n’y a strictement aucun déséquilibre entre le riff et le mot. Et c’est une prouesse. Il atteint un pinacle absolu avec l’hymne « Le Saint Riff Rédempteur ». Le riff en question est vertigineux. Le texte croise anxiété sociale, et une pointe d’ironie fine sur les textes épiques de groupes américains des années 1980, dont Manowar. La richesse du vocabulaire de Rodolphe rend cette ironie ambivalente, tant la puissance du verbe participe à celle de cet hymne. Il ne joue aucunement au poète mal-aimé, mais cherche bien la syllabe qui claque, en allant chercher des mots riches et peu usités dans la langue courante. On est entre littérature classique et esprit liturgique. L’équilibre est fin et d’une efficacité totale, et il va illuminer l’album sur cette base de formule géniale.
« Le Saint Riff Rédempteur » sonne comme une chose presque définitive. C’est un véritable hymne musical et intellectuel. Tout y est synthétisé avec autant d’intelligence que de second degré. « De La Viande » ne baisse aucunement la garde. Le riff est tout aussi puissant, la rythmique redoutable, et le texte est d’une violence intellectuelle impressionnante. Rodolphe joue avec maestria avec le vocabulaire de la boucherie, appuyant un peu plus fort sur la férocité du morceau. L’entendre hurler « De La Viande » est presque intimidant.
« Le Cimetière Des Rêves Brisés » monte l’écriture d’un niveau encore supérieur à l’excellence déjà proposée. Le texte est sublime, traversé d’éclairs de poésie surréaliste. Edgar Allan Poe reste une référence intellectuelle incontestable, notamment pour faire passer le fantastique dans le quotidien avec cette subtilité si caractéristique. Le texte de « Le Cimetière Des Rêves Brisés » est aussi urbain qu’épique. Les guitares de Stéphane et Thomas se répondent avec ardeur, entre riffs et montées solo déchirantes, avec notamment un splendide final. C’est un très grand morceau où tout sonne absolument naturellement. Le morceau résonne comme une rencontre improbable entre Ange (Le Cimetière Des Arlequins ?) et Candlemass. La fusion qui en résulte est absolument sublime. L’expressivité du chant de Rodolphe est encore à souligner, qui tranche ici avec le timbre plus classiquement heavy-metal des premiers morceaux. Sa poésie semble prendre pleinement son souffle. Il emporte d’ailleurs avec lui l’ensemble du groupe. Mais ne sous-estimons pas les deux guitaristes, Stéphane et Thomas, qui croisent magnifiquement le fer en construisant des architectures de riffs prenants au coeur tout au long de l’album, parfaitement secondés par une section rythmique au groove d’acier.
« Sous Le Signe Du Néant » revient à une atmosphère plus guerrière rappelant Grand Magus, et ce n’est pas une moindre comparaison. Car Barabbas tient musicalement le rang. Rodolphe se transforme en une sorte de Bernie Bonvoisin, éructant sa colère avec une conviction imposante. Puis le titre bascule dans un doom-metal noir comme le jais, massif, dantesque. Saint-Jean-Cristophe et Saint-Jérôme matraquent une rythmique brutale dotée d’un groove malfaisant. Les claviers apportent une touche épique discrète mais efficace, alors que le groupe se lance dans une sorte de représentation presque théâtrale avec plusieurs voix et personnages.
Ce côté épique se retrouve dès l’introduction de « Mon Crâne Est Une Crypte (Et J’y Suis Emmuré) » avec son mellotron. Le riff vient rapidement gronder, inspiré de ceux de Matt Pike et de High On Fire. Il s’enroule autour d’une rythmique implacable avant qu’un chorus ne vienne apporter un peu d’air. Rodolphe retrouve son timbre subtil entre rage et lyrisme, mais patiné par la vie. Le sujet de la folie est central. Il est traité avec beaucoup de subtilité, rappelant par moments nos esprits déstabilisés par la crise du COVID, alors que nous étions enfermés chez nous sans aucune autre perspective que le jour suivant. C’est d’ailleurs la plus exacte évocation de ce que fut cette période pour l’auteur de ces lignes. Le riff hargneux ne fait qu’attiser des braises cérébrales pas tout-à-fait éteintes. Le titre frise les dix minutes, et il doit sa durée autant aux solos de guitare de Saint-Stéphane, que des paroles qui occupent largement le spectre musical.
« La Valse Funèbre » poursuit le même esprit incantatoire et noir. Mais oui, le rythme est bien celui d’une valse, semble-t-il embourbée dans une mélasse inquiétante. Le texte se fait plus littéraire, à la façon du dix-neuvième siècle autant romantique que gothique suivant les pays. Saint-Rodolphe joue sur les origines littéraires et leurs inspirations. Il en devient une sorte de Léo Ferré doom-metal. Là encore, le titre frise les dix minutes, et il doit sa charpente à son texte dense. Il se mue en une coda implacable, obsédante, qui illumine les dernières mesures d’un album en tous points réussis, et même exceptionnel.
Lorsque le disque se termine, c’est bien simple, La Mort Appelle Tous Les Vivants de Barabbas est le plus grand album de rock français depuis Téléphone et Trust. Puissant et inspiré à tous les niveaux, il est un monument au même titre que Répression de Trust.
2 Commentaires
Ah, oui ! Énorme erreur professionnelle d'un chroniqueur si avisé !
RépondreSupprimerAller, tu paies une tournée générale et on oublie tout !
;-)
Avec plaisir !
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