FUZZY GRASS - The Revenge Of The Blue Nut

 


Je m’inquiète parfois de ma santé mentale alors que le temps file et que mon âge avance. J’ai toujours peur de ce moment où je ne m’enthousiasmerai plus pour un nouvel album d’un nouveau groupe. Je ne veux pas ressasser mes groupes matrices, tout en me drapant dans une morgue morbide sur le fait que le rock est désormais mort et que j’en aurai connu les derniers sursauts avant le grand déclin. Le rock a connu de fabuleuses périodes de gloire. Il est aujourd’hui retourné dans l’underground où il semble se régénérer et intéresser un nouveau public, certes moins nombreux que dans les années 1970 et 1980, mais qui rajeunit depuis un ou deux ans. Le problème du rock est celui de la plupart des musiques qui ne sont pas portées par des majors : visibilité très limitée sur les réseaux, et revenus misérables à cause du système mafieux du streaming qui pille les musiciens sans vergogne. Seuls les artistes vieillissant et installés comme Alice Cooper, les Rolling Stones ou Bruce Springsteen, et ceux surmédiatisés comme Taylor Swift ou Ed Sheeran continuent de gagner de l’argent en remplissant des arenas.

Je découvre pourtant des disques formidables. Et je le sais au fond de moi, car ils animent un feu intérieur qui fut celui qui crépita en moi lorsque je découvris des albums comme le II de Led Zeppelin ou Overkill de Motörhead il y a presque trente ans. La musique de ces nouveaux albums provoquent chez moi de l’enthousiasme, j’apprécie de les passer plusieurs fois, je les réécoute régulièrement. Et cela est la preuve de la bonne santé d’une musique rock qui reste créative et énergique.


The Revenge Of The Blue Nut, un météore zeppelinien

Preuve que le rock a encore les reins solides, la plupart des groupes underground ont réussi à se relever de la crise du COVID qui aurait pu facilement éradiqué la moitié de la scène faute de concerts. Je me suis toutefois inquiété pour les excellents Fuzzy Grass de Toulouse. Leur premier et excellent album 1971 était paru en 2018, suivi de quelques concerts en France. Puis le rideau de fer du COVID se baissa. Aucun concert en vue jusqu’en 2021, et aucun signe de vie depuis cinq ans. Ce malheureux groupe semblait être mort-né alors que son potentiel était énorme.

Et puis, miracle, Fuzzy Grass est revenu à la vie en 2023 avec un nouvel album : The Revenge Of The Blue Nut. Le line-up originel n’a subi aucun dommage : Laura Luiz à la guitare, Audric Faucheux au chant et aux claviers, Thomas Hobeck à la basse, Clément Gaudry-Santiago à la batterie. La pochette de l’album est superbe, et le titre avec son côté humoristique inspiré de la psychédélie des années 1970 (Fish Rising de Steve Hillage, Bananamour de Kevin Ayers, Hot Rats ou Weasels Ripped My Flesh de Frank Zappa….) est bien trouvé.

Mais plus encore que l’emballage, la musique est impressionnante dès le premier titre. « Living In Time » fait irruption dans les enceintes avec une férocité impressionnante. Le son de la guitare de Laura Luiz est absolument divin, gargouillant de blues, de fuzz, et d’étincelles de wah-wah, avec un dosage d’une précision maniaque. Elle va être éblouissante tout au long de cet album, et se positionne littéralement comme l’un des meilleurs guitaristes du pays, pas moins. Je parle bien de guitaristes au masculin, car il s’agit de niveau tous genres confondus. Il faut entendre ses chorus sur ce premier titre, inspirés de Jimi Hendrix, mais pas que. Il y a une multitude de références acides particulièrement brillantes qui irriguent sa guitare, de David Gilmour de Pink Floyd, à Jimmy Page de Led Zeppelin, en passant par Jeff Beck et Isaiah Mitchell de Earthless et Golden Void. Le titre dérive ensuite vers des sonorités électroniques inspirées de Pink Floyd et Hawkwind interprétées par Audric Faucheux, l’homme du son space-rock de Fuzzy Grass. Laura Luiz est inarrêtable dans ses embardées psyché-blues. Il faut par ailleurs saluer la cohérence de ce groupe, dont la section rythmique est absolument décisive. Thomas Hobeck assure une ligne de basse pleine de groove et de blues. Clément Gaudry-Santiago est un batteur volubile, pétri de licks blues et jazz, ce qui lui permet d’assurer des roulements de caisses bien placés et un solo sur « Living In Time » qui ne dépareille pas à côté de Ginger Baker ou John Bonham. Et nous n’en sommes qu’au premier titre.


Que faut-il en retenir de plus ?

« I’m Alright » est un blues poisseux aux inspirations zeppeliniennes. Fuzzy Grass est magnifique sur ce titre, tout en maîtrise de son sujet, jamais parodique ou à la peine. Au contraire, il réactive ce blues électrique oublié que portaient aussi Free ou Rory Gallagher. Le groupe créé une accélération à mi-chemin qui sent bon le boogie sale à la Stray ou Pink Fairies. Le début de « The Dreamer » remet l’auditeur dans une atmosphère ouatée, avec ses irruptions électroniques à la Heldon. La voix de Audric Faucheux fait preuve de toutes ses nuances, entre douceur acide et glapissement heavy-blues. Le morceau est une lente montée d’adrénaline que contrôle à merveille la guitare de Laura Luiz suivie de prêt par la section rythmique. Le refrain est un voyage sur le dos d’un oiseau au bord des falaises de craies normandes. On oublie la sensation de vide devant la grandeur de l’horizon, et du calme d’un vol d’oiseau marin loin de l’enfer humain. Laura Luiz fait rugir sa guitare dans un chorus inspiré et incandescent pour imprimer une sorte de colère. Les rêves de ce « Dreamer » ne sont-ils pas gâchés par bien des parasites ?

« Insight » est un blues-rock-boogie carré. Je n’avais pas entendu un truc d’une telle qualité depuis Mahogany Rush et Robin Trower. Il n’y a strictement rien de novateur. Il ne s’agit que d’efficacité, de puissance, et de feeling. Et tout est réuni sur ce morceau impeccable. Fuzzy Grass ne lâche rien pendant cinq minutes et trente secondes, et l’on retrouve la palpitation de ces grands lives comme ceux de Rory Gallagher et Taste. « Why You Stop Me » est le titre le plus court du disque avec ses trois minutes et quinze secondes. C’est un missile de hard-blues psychédélique ravageur à la « Communication Breakdown » de Led Zeppelin. Emmené sur un train d’enfer par la basse et la batterie, Laura Luiz fait grogner sa guitare pétrie de wah-wah. Ses notes étourdissent, jusqu’à ce que Faucheux reprenne le fil, et conclue cet uppercut sonore.

L’album se clôt sur la pièce de résistance du disque : « Moonlight Shades » et ses presque douze minutes de divagation électrique, blues et acide. C’est ce que l’on appelle un power-blues, ici nimbé d’électronique psychédélique. Le titre commence assez classiquement, avec le chant D’Audric Faucheux surmontant une rythmique carrée, et des chorus aériens de guitare. La tension monte puis retombe, comme une sorte d’ascenseur émotionnel. Laura Luiz ne cesse de développer ses chorus obsédants, pendant que Audric Faucheux tour à tour rugit et gémit. Hobeck et Gaudry forgent un tapis boogie sur lequel toutes les envolées sont possibles. Et elles éclatent à tour de rôle. La tension ne fait que grandir, et la guitare ne fait que se tendre, pétrie d’une violence sourde, déformée par la wah-wah. « Moonlight Shades » est le « Since I’ve Been Loving You » de Fuzzy Grass, une fantastique embardée blues électrique qui ne fait que retentir sans cesse.


Le disque se termine sur ce dernier sommet. The Revenge Of The Blue Nut est un très grand album, du niveau de Ummon de Slift en 2020, eux aussi originaires de Toulouse. Oui, un groupe de rock de 2023, qui plus est français, est capable de produire un album pouvant vous renverser intérieurement, comme ce fut le cas autrefois pour les Who ou Led Zeppelin. Ce fut mon cas, et cela me réjouit au plus haut point. Précipitez-vous pour acheter ce disque, soutenez-les, allez les voir en concert. C’est un très grand groupe qui est en train d’éclore.


Enregistrer un commentaire

1 Commentaires

  1. Vraiment excellent.
    Espérons qu'ils suivront la cadences de Led Zep : 9 albums en 10 ans !!!!!

    RépondreSupprimer