HÖG - Blackhole

 

On a l’impression que plus cette décennie avance, plus l’on danse sur des ruines. Jamais le monde n’a été à ce point en surchauffe, l’actualité n’est qu’une succession de catastrophes et de déclarations politiques toutes plus dingues et stupides les unes que les autres. Des gens meurent sous les bombes, et nous venons de nous débarrasser du premier ministre le plus authentiquement malhonnête et malsain que le pays ait jamais eu, en attendant évidemment le prochain, sauf explosion populaire. Tout est à la fois déprimant et réjouissant.

Du côté de la musique, l’IA fait grand débat, elle est déjà dans tous les coins, envahissant tranquillement les tops de Spotify ou Deezer avec des artistes bidons. Tous les réseaux sociaux se sont excités sur Velvet Sundown, d’abord en les trouvant formidables avant de découvrir qu’ils étaient bidons. Il est vrai que sortir je ne sais combien d’albums en deux ans, le tout recouvert de photos à la qualité consternante, on pouvait bien se douter de quelque chose. Mais visiblement, cela a surpris, alors que toutes les playlists sont déjà caviardées de daube à l’IA. Et puis il y a Hög.

Je reste autant que possible connecté à une certaine actualité rock, devant trier toutes sortes de propositions. Lorsque j’ai vu la pochette du futur premier album de Hög, ce portrait en noir et blanc, je me suis dit qu’il me fallait aller écouter. Le titre « Blackhole » était déjà proposé en écoute, et je l’ai lancé. Et j’ai trouvé cela génial. Le grain de la guitare, la voix, la puissance et la souplesse de la rythmique, tout m’a plu. Je me suis aussitôt porté acquéreur d’un exemplaire cd, le vinyle importé des Etats-Unis m’aurait valu de vendre un organe. C’est fort dommage, car le disque est aussi bon que beau.

On ne sait pas grand-chose de Hög. Si le trio est présent sur les réseaux sociaux, il présente surtout son activité scénique et la sortie de son premier album. C’est par ailleurs plutôt normal pour trois musiciens méconnus qui démarrent un nouveau groupe. Ce que je sais, c’est que le guitariste-chanteur Daniel en est le fondateur. Ce jeune californien est venu trouver du travail à Portland en 2018, et a parallèlement fondé Hög avec deux musiciens locaux. Ils sortent un premier EP en septembre 2022 sous la forme d’une cassette de trois titres. Ceux-ci sont déjà très bons, à commencer par un dantesque « Dust » de presque huit minutes qui présente une mixture de hard-rock seventies et de proto-doom particulièrement bien jouée et inspirée. Ca grogne magnifiquement, et c’est vraiment un excellent début. Daniel est un guitariste avec du talent, maîtrisant sa Gibson SG avec brio. Ses solos sont inspirés et mélodiques, croisant Pentagram et UFO.

Hög s’est formé à Portland, et le point est suffisamment intéressant pour s’y attarder. Bien que dans les terres de l’Oregon, c’est une ville portuaire à la confluence des fleuves Columbia et Williamette. Durant une bonne partie du dix-neuvième siècle, elle est occupée par les marins en goguette, les bordels, les tripots de jeu, et des pensions où s’entassent les gamins orphelins de la ruée vers l’or à la frontière avec le Canada. C’est une ville sale et violente. Le vingtième siècle n’arrange pas vraiment la situation, étant l’une des arrières-cours de grand banditisme des années 1940-1950. Elle aura aussi le privilège d’accueillir un des camps de concentration de population d’origine japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, et ce afin d’éviter tout espionnage après l’entrée en guerre après Pearl Harbour en 1941. Tout bridé devient donc suspect, et ce n’est pas un des points que les Etats-Unis mettent en avant dans leur histoire déjà lourdement chargée en massacres, colonisation de peuples, esclavagisme et ségrégation. Aujourd’hui, Portland est en pointe dans l’écologie. C’est presque une ville de bobos, avec ses microbrasseries, ses cafés, ses pistes cyclables, ses parcs, du moins dans sa présentation extérieure.

Visiblement, Daniel et son trio ne sont pas vraiment dans l’ambiance yoga-matcha. Il explique qu’il a été inspiré par l’état du monde, la dépression, et le sexe d’une part, et la désolation crasseuse que Portland incarne la majeure partie de l’année derrière sa façade branchée. Le premier line-up de Hög a explosé pour se reconstituer autour de Daniel à la guitare. Bobcat en est le nouveau bassiste, Adam, le nouveau batteur. La formation ferraille dans l’Oregon pour se faire connaître et enregistrer un premier disque, le répertoire s’étant étoffé. Le son n’a pas fondamentalement changé entre la première cassette et ce premier album, Daniel étant la colonne vertébrale sonore du trio.

Et donc, Blackhole a surgi durant l’été 2025. C’est un disque puissant, brutal, d’une solidité qui confine déjà au classique du doom-metal. Pour situer, Hög est dans l’esprit d’un Pentagram des années 1970, mais avec des influences évidentes des premiers Black Sabbath. Il faudrait aussi ajouter quelques influences comme Dust ou Sir Lord Baltimore, qui ne sont sans doute pas étrangères au trio, ne serait-ce que par le choix de la guitare. Ca tape dur, mais c’est aussi doté d’un groove irrésistible. Et c’est sans doute ce qui emporte d’abord l’oreille. Ils ne sont pas nombreux à avoir ce pouvoir de faire du doom une musique quasi-dansante, qui vous fait sourire dans la noirceur du monde. Hög l’a, et c’est ce qui rend ce disque si bon.

Il y a évidemment la plume de Daniel et de ses acolytes, mais aussi leur talent instrumental particulièrement affûté. Bobcat et Adam apportent un vrai pas en avant en termes de jeu, offrant une plus grande maîtrise derrière un Daniel qui peut s’appuyer solidement sur eux.

Plus le disque avance, plus la morsure commence à être puissante. « Don’t Need You » part sur un boogie acide plutôt enlevé, mais dès « Life Too Late », le ton se durcit. « Blackhole » est une vraie tempête qui emmène cette fois franchement Hög sur le terrain du doom-metal, ou plus précisément sur du heavy-doom rock. Car la teinte reste toujours acide, proto-heavy, avec beaucoup de pédale wah-wah sur les chorus.

Il n’y a littéralement que des bons titres sur ce premier album. « Bring You Down », « City Witch »… « My Mind (Is Getting Heavy) » a déjà le titre d’un futur classique, comme une profession de foi. Il a un riff magistral et assassin, et le solo de guitare est prodigieux. La section rythmique se dépasse, enfonçant le groove dans le cortex de l’auditeur avec un plaisir maniaque. « Shallow Earth » est le morceau le plus doom, le plus authentiquement Black Sabbath de l’affaire, mais avec ce talent unique qui rend le morceau personnel. Le chant flotte sur le thème blues acide, scandé, vaporeux, halluciné. Puis le riff déclenche la foudre, et matraque tout. Tout est bon, passionnant, des changements de thèmes aux chorus heavy-psyché inspirés. La nouvelle version de « Free », issue de la première cassette, achève magnifiquement un premier disque particulièrement réussi.

L’album a été produit par Trevor Labovitz, comme la première cassette. Il est le propriétaire d’une boutique d’amplificateurs nommée Arcane Amps. Hög a été enregistré sur bandes deux pouces pendant environ deux mois durant les heures de fermeture de la boutique. On ne peut pas faire plus authentique et honnête que cet album.

Hög a été signé chez Easy Rider Records, un label bien connu des fans de stoner et de doom. On va espérer que cela leur permettra de vendre très rapidement leurs mille exemplaires de leur premier album, cinq cent en vinyle et cinq cent en cd. Blackhole est vraiment un disque majeur, qui nécessite d’être acheté en très grandes quantités pour permettre au trio de venir jouer en Europe d’une part, et de remplacer David Damiano dans les playlists des gamins d’autre part. En tout cas, merci les gars, voilà un premier disque magistral.


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