Top 15 des meilleurs albums de 2021 par Julien Deléglise

 


Eh bien mes amis, on peut dire que cette année 2021 aura été encore merdique, et dans nos vies personnelles, et dans le monde de la culture de manière générale. Et l’année qui vient semble répéter le même chemin chaotique et anxiogène. Une fois encore, c’est la culture, et notamment la musique live qui ramasse. Comme si cette porte vers l’évasion psychologique était devenue un danger. Pourtant, la musique se rebiffe. Elle lutte, et le stoner-rock a encore prouvé son excellence dans le domaine, offrant des disques magnifiques dans des conditions compliquées. Mais le stoner a toujours vécu dans une forme de semi-anonymat et de résistance au mainstream aliénant. Alors il est plus que jamais à sa place, offrant une musique profonde, tantôt psychédélique, tantôt mélancolique et noire, cherchant des alternatives pour survivre, et ce avec toujours autant de génie.

La sélection qui suit est loin d’être exhaustive. De la très bonne musique stoner et doom, il y en a eu en 2021. Il s’agit ici de revenir sur les disques marquants chroniqués dans ces pages, mais aussi sur ceux que, faute de temps, je n’ai pas pu chroniquer en détails (pour certains si, j’y reviendrai en 2022). Ces albums sont les facettes majeures d’une musique en parfaite santé créatrice.


TRILLION TON BERYLLIUM SHIPS - TRILLION TON BERYLLIUM SHIPS

Trois garnements du Nebraska posent ça sur le net. Il y a en ouverture ‘TTBS’ en forme de manifeste doom impeccable. Malgré quelques menus défauts de jeunesse, le disque m’avait fortement impressionné de par sa maîtrise du riff heavy sale et violent. Depuis, le EP « Rosalee » de cinq titres est sorti et a révélé le pas de géant du trio. Le son est moins sale mais tout aussi percutant, la voix du guitariste Jeremy Warner est bien plus en place. Les compositions gardent leur mordant doom. Le trio du Nebraska de la fratrie Warner est à suivre de près.



KOMODOR : NASTY HABITS

Quatre garçons de Douarnenez, donc dans le vent forcément, offre leur premier véritable album après un premier EP en 2019. Garage, blues, et psyché, la musique de Komodor est un excellent mix piochant dans les sacro-saints Stooges et MC5, mais aussi dans une multitude d’autres formations 60’s-70’s. Le premier nom qui m’est venu est lui aussi de Detroit : The Frost. Les riffs font mouche, quelques touches d’harmonica et de synthétiseurs viennent enrichir la mixture, particulièrement rock et électrique. Il aurait été dommage de ne pas saluer ce premier album réussi ici, d’autant plus qu’il s’agit d’un groupe français.



STONER – LIVE IN THE MOJAVE DESERT VOL 4

Il aura fallu voir arriver un virus chinois pour que Brant Bjork et Nick Oliveri se réunissent à nouveau. Ce disque est précurseur d’un premier album studio. Il est un disque primordial à plus d’un titre. Ainsi, les pionniers du stoner-rock, ratissant le désert de Mojave avec les generators-parties, se retrouvent à nouveau à jouer dans ce sable mythique. Stöner joue comme à l’époque, comme des branleurs. C’est punk, c’est psychédélique, c’est foutraque.

Brant Bjork a la science du riff punk’n’stoner.



CONVICTION – CONVICTION

Ils sont arrivés, implacables, de la région parisienne. « Conviction », premier du nom, a remis le doom français au centre du débat. Le disque, virtuose, convoque avec maestria toutes les facettes excitantes du genre. Véritable torrent de boue implacable, ce premier album de Conviction est une réussite absolue sur tous les aspects : composition, interprétation, sonorité (Count Raven, Mercyfyl Fate, Candlemass). L’album est un torrent de folie noire que seules les scandinaves peuvent approcher. Et c’est toute la puissance de ce premier album impeccable.



BRETUS – MAGHARIA

Il était impossible de ne pas citer les Pentagram de Calabre. Poursuivant avec un rythme de métronome une discographie magique débutée en 2009, ils ajoutent « Magharia » à leur palmarès. Rien ne change, mais c’est cela qui est formidable. Sur une ligne artistique des plus délicates, produisant peu de chefs d’oeuvre et pas mal de disques oubliables, Bretus a encore assuré. Mais lorsque l’on a dans ses rangs le charismatique Zagarus au chant et le démoniaque Ghenes à la guitare, rien ne peut arriver de mal. J’oublie Striges à la batterie et Janos à la basse, dont le travail rythmique est indissociable de la puissance du doom de Bretus. « Magharia » est un nouveau classique de doom impeccable, avec pour seule innovation très intéressante ce ‘Magharia’ electro-death, petite incursion cinématographique dans un tapis de bombes doom-metal certifiées de qualité.



CRIPTA BLUE - CRIPTA BLUE

Ce trio décapant a offert l’un des meilleurs albums de stoner-doom psychédélique de l’année. C’est un mélange improbable à l’apparence totalement rabâchée. Mais l’équilibre trouvé sur ce premier album est absolument fabuleux. Tout y est : les riffs entêtants, la basse matraquée et élastique, la batterie souple et puissante. Il y a même l’identité si particulière du heavy-doom italien, avec ses références à la mythologie paysanne locale et aux films d’horreur millésimés, complètement déments (l’Italie fut l’un des plus grands pays de cinéma en Europe avec la France dans les années 1960-1970, on l’oublie trop souvent.) ce premier album n’a que très peu de défauts, car même ses défauts sont des qualités, à commencer par cette pochette psyché-goth hallucinée.



SLIFT - LEVITATION SESSIONS

Celui-là, peu l’ont vu passer, d'abord sorti en téléchargement avant de bénéficier d'une sortie physique. Le désir, c’est aussi la force de Slift, sans doute le meilleur groupe de rock du monde, et je pèse mes mots. Le concept en lui-même est d’une intelligence inouïe. Faute de concerts, Slift décide de capter un set live à l’institut national des sciences appliquées de Toulouse dont ils sont originaires, le CEMES. Ils veulent enregistrer dans le grand observatoire avec le télescope donnant sur l’espace, croisant cette dimension épique inhérente à leur dernier album à la sonorité extraordinaire de cette cathédrale de béton. Le résultat est là, époustouflant. Cette musique, si subtile et complexe, prend vie avec ces trois garçons sur scène, comme chaque soir sur scène. Mais l’institution spatiale semble apporter une dimension supplémentaire, entre respect, recherche et proximité de cette science-fiction fanstasmée. « Ummon » y est joué en intégralité, avec la force de l’interprétation de l’instant, et les multiples subtilités d’interprétations rendent l’ensemble totalement époustouflant.



EARTHLESS – LIVE IN THE MOJAVE DESERT VOL 1

Le guitariste Isaiah Mitchell a été enregistrés en live à de multiples reprises, accompagné par ses imperturbables seconds que sont Mike Eginton à la basse et Mario Rubalcaba à la batterie. Des lives de Earthless, il y en a tellement, tous si bons… Seulement voilà, on a dit à Earthless de venir jouer dans le mythique désert de Mojave, et de s’envoler alors que le monde se mourrait dans de petits intérieurs étriqués.

Le temps qui se suspend est assurément le terrain de prédilection d’Isaiah Mitchell et de Earthless. Le trio va se dépasser sur trois morceaux au long cours, dont de dantesques versions de ‘Sonic Prayer’ et ‘Lost In The Cold Sun’. Jamais une musique n’aura tant collé à l’espace-temps.



KING BUFFALO – THE BURDEN OF RESTLESSNESS

Premier volume musical de King Buffalo en 2021, « The Burden Of Restlessness » a le reflet amer de 2020, année de l’enfer que l’on pensait surmonter dès la suivante. Le disque est empli de colère, de hargne, et de désillusion. ‘Burning’, ‘Hebetation’, ‘Locusts’, ‘The Knocks’… sont autant de récits sur ce sentiment de bord du gouffre que les citoyens du monde ont ressenti plus ou moins violemment, enfermés chez eux, ou devant aller travailler en rasant les murs, masques sur le nez, les mains dans le gel hydroalcoolique. Les titres se concentrent autour de six à sept minutes de pur venin électrique entre stoner, psychédélie froide et krautrock.



MONOLORD : YOUR TIME TO SHINE

Avec une régularité quasi-horlogère, les suédois de Monolord proposent leur nouvel album tous les deux ans exactement. Leur discographie ne compte aucun accroc, de « Empress Rising » en 2014 à « No Comfort » en 2019, en passant par le très bon « Rust » en 2017. « Your Time To Shine » est une nouvelle pierre angulaire à ajouter à leur œuvre. Visiblement très marqués par la période de pandémie, le stoner-metal de Monolord a gagné en profondeur émotionnelle, comme l’atteste le superbe ‘To Each Their Own’ ou le sépulcral ‘Your Time To Shine’. La voix claire et presque enfantine de Thomas Jäger survole un épais magma de riffs lourds et mélancoliques, posés sur une rythmique impeccable de puissance.



GREEN LUNG – BLACK HARVEST

Green Lung est un quintet anglais à l’existence fort récente, puisque formé à Londres en avril 2017. Le premier album « Woodland Rites » en 2019 avait attiré mes oreilles, son mélange de stoner-metal et d’occultisme ayant déjà du corps. Il lui manquait une petite pointe d’originalité pour tirer son épingle du jeu. « Black Harvest » est la réponse parfaite aux premières hésitations. Arrivé en 2018, John Wright et son orgue goudronneux à la Jon Lord a désormais parfaitement sa place dans la musique de Green Lung. Les compositions ont davantage d’ampleur, les riffs accrochent, l’ambiance occulte et électrique est prenante. ‘Reaper’s Scythe’, ‘Upon The Altar’ ou ‘Doomsayer’ sont autant d’uppercuts heavy-doom de première catégorie. « Black Harvest » est un disque qui réussit la jonction entre le stoner-doom et le heavy seventies.



MASTODON – HUSHED AND GRIM

La carrière de Mastodon est jonchée de drames personnels qui ont toujours alimenté leur musique à un moment ou un autre. Le magnifique « Crack The Skye » était dédié à la sœur disparue du batteur Brann Dailor, Skye Dailor. Ce nouvel album, double, est consacré à la disparition du manager et ami Nick John, mort fin 2018. A cette occasion, Mastodon a retrouvé son esprit progressif, quelque peu mis de côté depuis « Crack The Skye » en 2009. Il est assez réjouissant de se dire qu’un groupe avec aussi peu de compromis commerciaux arrive à rester au sommet des meilleures ventes d’albums. C’est pourtant le résultat de ce nouvel album particulièrement réussi, à la fois progressif mais veillant à ne pas se répandre au-delà de huit minutes et quelques. Mastodon reste percutant. Son univers sonore, unique, est immaculé.



JOHN DWYER – WITCH EGG/ENDLESS GARBAGE/MOON DRENCHED/GONG SPLAT

Les Osees nous avait habitué à un voire deux albums par an. Il en fut ainsi en 2020, accompagnés de répétitions captées en direct pour compenser l’absence de concerts. Et puis en 2021, John Dwyer, guitariste-chanteur et fondateur des Osees, auparavant Thee Oh Sees, a décidé de s’en aller seul. Oh, il ne l’a pas fait en partant tout seul avec sa guitare chez lui. Il a rapatrié à un aréopage de collaborateurs issus de près ou de loin aux Osees. Le batteur Nick Murray et le pianiste Tom Dolas sont ainsi de la partie, et ils ne vont pas chômer. Car Dwyer voit grand : quatre albums expérimentaux aux line-ups variables selon les besoins. Le premier, « Witch Egg », est une fantastique réussite de jazz-rock, entre le Miles Davis de « Bitches Brew » et le Soft Machine de « Third ». « Endless Garbage » qui suit est un exercice free plus court, intéressant et audacieux, mais à réserver aux amateurs de Albert Ayler.

« Moon Drenched » concilie mieux les différents aspects de la musique de Dwyer : jazz-rock, krautrock, et une pointe de free. L’album est une nouvelle réussite, bien que plus difficile d’accès que le superbe « Witch Egg ». ‘The War Clock’ ou le long et obsédant ‘Terra Incognito’ sont autant d’exemples de cette fureur créatrice.

« Gong Splat » croise le jazz fusion du Miles Davis de « Pangaea » et l’afrobeat de Fela Ransome Kuti. Il va falloir que je vous explique tout cela, je pense, car les références musicales, brillantes, ne sont pas forcément évidentes. Le disque, malgré l’absence de connexions, est accessible, et complète parfaitement une série de quatre disques impressionnants d’inventivité.



40 WATT SUN – PERFECT LIGHT

La compétition fut rude pour ce titre d’album de l’année. « Perfect Light » n’est pas totalement un disque de l’année, puisque sortant à la jointure entre 2021 et 2022. Mais Patrick Walker n’en a strictement rien à foutre du temps, lui dont le dernier album remonte à 2016. Il a bien ravivé son ancien groupe doom Warning sur scène, mais on attendait en vain de la matière nouvelle. Son spleen obsédant nécessitait une suite. La voici enfin, sous la forme de ce « Perfect Light » superbe et sépulcral. Il y a curieusement plus de lumière dans ce disque que dans son prédécesseur, « Wider Than The Sky ». c’est une lumière pâle et belle, comme cette mélancolie qui vous envahit lorsque la vie ne semble plus avoir de sens. Il y a cette envie de serrer certains corps contre soi, leur dire qu’on les aime, au moins une fois. Tout devient âcre et futile, comme cette jetée grise couverte de brume. La beauté absolue de l’art de Patrick Walker est là, serrant le gosier de nos existences ineptes au fur et à mesure des gammes. La vie est plus lucide après un disque de Patrick Walker.



KING BUFFALO – ACHERON

Publié en toute fin d’année, je prendrai le temps d’y revenir plus en détails. Le trio de Rochester a décidé d’aller au bout d’une démarche artistique totale dans l’introspection. « Acheron » propose quatre longues pièces psychédéliques captées dans une grotte, symbole de la nécessité de beaucoup d’entre nous de fuir ce monde de cinglés et de cyniques. Les claviers, plus présents, apportent une dimension cosmique à l’ensemble. Chaque morceau est une lente montée vers la colère. Entièrement capté en direct, sa richesse musicale s’ouvre à chaque écoute. Un chef d’oeuvre.



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