HAWKWIND - The Space Ritual Live | Archéo-chronique

 


L’exercice de l’album live est une création des années 1970. les Anglais n’en sont pas totalement les inventeurs, puisque le jazz et la soul ont marqué les annales de la musique avec des enregistrements en public fameux comme At The Jazz Corner Of The World de Art Blakey And The Jazz Messengers en 1959, le Live At The Apollo de James Brown en 1963, ou Sam Cooke At The Copa en 1964. A cette même époque, force est de constater que le rock et ses instruments électriques n’ont pas encore offert un disque live à la hauteur des albums studio de légende d’Elvis Presley, Chuck Berry ou les Beatles. Le résultat est même assez navrant, comme Got Live If You Want It ! des Rolling Stones en 1966. Le groupe est inaudible au milieu des cris d’admiratrices en transe, et lui-même ne s’entend pas jouer. Les interprétations sont donc des plus approximatives.


Il faudra attendre le tournant des années 1970 pour voir apparaître les premiers enregistrements scéniques mythiques : Live At Leeds des Who, Get Yer Ya-Ya’s Out des Rolling Stones puis Made In Japan de Deep Purple en 1972. L’amplification a fait de sérieux progrès d’une part, les artistes considèrent la scène autrement d’autre part. En effet, les concerts ne sont dans les années 1960 que des récitals pour promouvoir les disques en bacs. Avec des formations comme les Who, Jimi Hendrix Experience ou Cream, l’approche de la scène est bien différente. Cream inaugure le concept de la double facette d’une formation rock avec le double album Wheels Of Fire en 1968 : un disque studio avec des chansons travaillées et arrangées, un disque live plus brut et hard-rock dans l’esprit. Les Who poursuivent cette idée avec Live At Leeds, qui leur permet de revenir à un son plus brut après le brillant double album concept Tommy en 1969.

Certains groupes sont d’ailleurs bien meilleurs en live qu’en studio. Etre coincé entre quatre murs n’est pas forcément facile à vivre, et ne permet pas à certains musiciens de laisser l’inspiration s’épanouir pleinement, comme bridés. C’est qu’enregistrer chaque instrument séparément sous les ordres d’un ingénieur du son et d’un producteur n’est pas forcément le meilleur cadre pour libérer l’énergie collective. Dans le cas d’Hawkwind, on peut dire que le concept est assez aléatoire. Pourtant, le groupe va publier d’excellents albums studio, particulièrement bien ouvragés. Mais là où il brille particulièrement, c’est sur scène.

L’histoire de cette formation britannique est presque un roman en soi. Son fondateur s’appelle Dave Brock, il est guitariste et chanteur. Né le 20 août 1941, il commence sa carrière de musicien comme chanteur de blues et de folk dans les rues de Londres. Nous sommes au début des années 1960, et le grand choc musical du moment est double : les Beatles de Liverpool et les premiers albums de Bob Dylan. Brock a opté pour le second, et a rejoint un mouvement appelé beatnik. Il s’agit de vivre la vie de bohème, sur le modèle du livre de Jack Kerouac Sur La Route. Parmi ces beatniks anglais, on trouvera des jeunes gens comme Rod Stewart ou David Gilmour. Dave Brock adhère ensuite largement au mouvement psychédélique, et se met à l’électricité. Il fonde Hawkwind en 1969 avec un esprit plutôt révolutionnaire : Brock est proche des mouvements féministes, anti-racistes et d’extrême-gauche anglais. Le groupe assurera régulièrement des concerts de soutien pour ces mouvements, en compagnie de l’autre groupe de même obédience : les Pink Fairies. Ils s’installent tous dans les anciennes installations industrielles du quartier de Ladbroke Grove, au sein de Notting Hill. Dans ce quartier où tout le monde squatte se développe de la musique, des mouvements politiques, et une presse indépendante encouragée par Mick Farren, journaliste et auteur qui a fondé le pionnier des groupes politiques du coin : les Deviants. Les Pink Fairies en sont en fait une émanation.


Hawkwind va signer chez United Artists en 1970, un label qui va être très important pour la scène alternative anglaise, toujours aux avant-postes en signant Groundhogs ou Dr Feelgood, entre autres. Hawkwind sort la même année, et récolte un joli petit succès. Sa 75ème place des ventes anglaises est cependant bien maigre face à la 18ème place de son successeur, l’excellent In Search Of Space en 1971. Hawkwind commence à se tailler une réputation scénique, et il a décidé de capter ses jams en studio pour sortir du format chanson. L’album est disque d’or, et la tournée qui suit s’annonce décisive.

Le groupe étant constitué d’une bande de hippies un peu instables, le line-up fluctue fortement, entre le guitariste Huw Lloyd-Langton porté disparu après le set de Wight en 1970 (Il avait décidé sous acide d’aller voir de l’autre côté de la colline en face, et personne ne l’a plus revu), et le bassiste Dave Anderson qui supporte de moins en moins de faire des concerts gratuits en soutien à des causes, et du coup de ne pas être payé. Le batteur Terry Ollis finit lui aussi par quitter le navire. Il faut donc en 1972 recomposer Hawkwind autour de Dave Brock, le saxophoniste Nik Turner, l’auteur Bob Calvert, le claviériste Del Dettmar et le sorcier des synthétiseurs Michael Davies, alias DikMik. C’est ce dernier qui introduit dans la sphère Hawkwind un certain Lemmy Kilmister. Ils sont tous deux amateurs de speed, contrairement aux autres, plutôt consommateurs d’acides et d’herbe. Kilmister est guitariste, pas très bon par ailleurs. DikMik le propulse sur scène avec le matériel abandonné par Anderson : une basse et des amplificateurs. Il s’épanouit dans ce rôle, en jouant de la basse comme un guitariste rythmique. Il n’y aura plus de guitariste soliste à proprement parler. Il y aura par contre un nouveau batteur nommé Simon King, qui va apporter avec son kit double grosses caisses une pulsation totalement complémentaire à la basse de Kilmister.


Durant l’année 1972, Hawkwind enregistre l’album Doremi Fasol Latido. Le succès vient d’un simple que le manager Douglas Smith a extrait des bandes : « Silver Machine ». Le titre a été capté live le 13 février 1972 à la Roundhouse de Camden par un jeune ingénieur du son pionnier du studio mobile nommé Vic Maile. Il faut cependant refaire la piste vocale, et c’est Lemmy Kilmister qui est finalement désigné après plusieurs essais des autres musiciens. Contre toute attente, le titre décroche la première place des ventes de simples. Hawkwind devient soudainement une formation commercialement intéressante. Le 45 tours emmène logiquement les ventes de l’album, qui sort par la suite et atteint la 14ème place des ventes britanniques. Il devient impératif de lancer un grand raid à travers les îles britanniques puis l’Europe pour capitaliser sur ce succès aussi impressionnant qu’inattendu.


Vingt-six dates sont programmées entre le 8 novembre et le 30 décembre 1972. depuis deux albums, Hawkwind vogue sur un concept musical à base de vaisseau spatial intergalactique. Le moteur est composé du power-trio Brock-Kilmister-King sur lequel s’ajoutent les cuivres de Turner et et les bidouilles électroniques de Dettmar et DikMik. C’est ainsi qu’a été construit l’album Doremi Fasol Latido, c’est comme ça que se déroulera la tournée. Aux morceaux rock s’ajoutent les poèmes de Robert Calvert et les chorégraphies sensuelles de Stacia, une superbe et sculpturale danseuse, créature de presque un mètre quatre vingt, aux seins généreux qu’elle exhibe sans aucune retenue. Maquillée comme une sorcière acide, elle emmène visuellement le groupe, propulsant Hawkwind dans une sorte de show total auquel il faut ajouter les lumières. L’équipe d’Hawkwind va créer la conduite des poursuites d’éclairages sur un clavier, synchronisant totalement les stroboscopes, les spots et les lasers sur la musique en cours.


Le groupe qui se lance sur la route est littéralement une quintessence à tous niveaux. Vic Maile est reconduit dans sa fonction de preneur de son. Et pour cause, son Pye Mobile est le meilleur studio mobile du moment. C’est grâce à lui que les Who ont capté les bandes de Live At Leeds. Il capte avec attention trois sets : le Liverpool Stadium le 22 décembre 1972, le Locarno de Sunderland le 23 décembre, et celui à Brixton le 30 décembre.


Hawkwind déroule plus ou moins la même set-list, avec cependant quelques variations au niveau des titres issus des albums. Car le set est basé sur des morceaux totalement inédits comme « Born To Go », « 7 By 7 » ou « Orgone Accumulator ». Le concert est mené sous la forme d’un show complet nommé Space Ritual, avec heavy music, danseuse, light-show hypnotique et lecture de textes hallucinés sur fond d’expérimentations électroniques par Robert Calvert.


L’arrivée de Lemmy Kilmister a été décisive pour Hawkwind. A tel point que l’embauche d’un second guitariste est devenue inutile. En effet, Kilmister joue au médiator sur une basse Rickenbacker et provoque un fracas équivalent à une guitare rythmique, ce qui permet à Dave Brock de tranquillement décoller en solo sans perte de puissance sonore. L’autre soliste est Nik Turner, qui alterne flûte, saxophone et haut-bois. La musique est basée sur un cataclysme sonore quasi-permanent, sorte de boogie cosmique aux boucles répétitives et obsédantes. Simon King se révèle un batteur parfait pour cet exercice, sa frappe frénétique et puissante appuyant le côté compulsif de la musique d’Hawkwind. Les morceaux font rarement moins de six minutes, et frisent plutôt les dix d’improvisation hallucinée. La mélodie reste cependant de mise, comme sur les pépites que sont « Down Through The Night » ou « Space Is Deep ».


Les temps forts sont les morceaux menés par le trio Brock-Kilmister-King, passionnants boogies lysergiques que sont « Born To Go », « Lord Of Light », « Orgone Accumulator », « Brainstorm » ou « Master Of The Universe », à la limite du speed-metal. Jamais de la musique psychédélique n’avait sonné aussi agressive. Hawkwind et sa violence sonore est plutôt à classer du côté du heavy-rock naissant de Led Zeppelin, Black Sabbath et Deep Purple. Si ce n’est qu’il y a ce saxophoniste fou et ces claviers délirants derrière. Mais la base musicale est indiscutablement heavy et des plus simples d’approche. En ce sens, Hawkwind est un vrai groupe pour prolétaires comme Black Sabbath et Status Quo, capable de soulever n’importe quelle salle au fin fond de l’Angleterre industrielle. Ils ne sont pas des hippies lettrés et prétentieux, mais bien des allumés à la conscience politique forte.


The Space Ritual Live est un double album témoignant de la folie des shows de cette tournée onirique. Il atteint la neuvième place des ventes en Grande-Bretagne, et permet une première percée commerciale aux USA à la 179ème place du Top 200 alors qu’Hawkwind n’a pas encore posé un pied en terre américaine. Le pays est alors accro aux musiques heavy et blues-rock britanniques : Black Sabbath, Led Zeppelin, Humble Pie, Rory Gallagher… Hawkwind se fraye un chemin là-bas alors que les Etats-Unis cherchent à tout prix à se sortir du bourbier vietnamien.


Hawkwind est désormais sur un boulevard le menant au succès alors que le groupe n’a strictement rien fait pour y arriver, à commencer par la moindre concession artistique et politique. Les tournées américaines vont s’enchaîner jusqu’au débarquement brutal de Lemmy Kilmister à la frontière canadienne en 1975. La perte du bassiste mettra un sérieux coup de frein à leur carrière américaine, et le groupe aura le plus grand mal à se remettre de cette erreur. Kilmister, lui, fondera Motörhead et va révolutionner une seconde fois le rock’n’roll.


Ce double album mythique est illustré par le génial Barney Bubbles, qui travaille avec Hawkwind depuis In Seach Of Space et a créé l’univers visuel du groupe avec son style coloré et hypnotique. Il vient d’être réédité en coffret pour ses cinquante ans avec pas moins de onze disques réunissant l’album original et l’ensemble des bandes des trois concerts ayant servi à la confection de ce live mythique. Loin d’être redondant, on découvre des pièces inédites absolument fantastiques, comme ce « Time We Left This World Today » du set de Locarno. Si vous cherchez les racines du stoner psychédélique, il est indispensable de se plonger dans le space-rock d’Hawkwind.




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